Point de vueDe „la drôle de guerre“ au confinement …

Point de vue / De „la drôle de guerre“ au confinement …
 Photo: Editpress/Julien Garroy

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L’autre jour, je ne me rappelle déjà plus lequel, tellement le confinement partiel auquel nous nous conformons non sans mal, commence à faire son œuvre au point de nous faire perdre par moments du moins, la notion du temps. Il est vrai que le passage à l’heure d’été, censé améliorer la productivité et booster l’Economie – encore bien moins justifié en ce moment qu’en „temps normal“ – n’est pas fait pour nous faciliter la tâche et nous faire retrouver nos repères …!

Toujours est-il que j’ai enfourché mon vélo rétro comme à l’accoutumée et mis le cap sur Esch, à la fois pour me dégourdir les jambes, essayer de me fournir en victuailles dans quelque commerce restant ouvert – comme jadis nos aïeux en temps de guerre jouant les hamsters – et me faire une idée de l’atmosphère pouvant régner dans ma ville natale déjà chroniquement sinistrée bien avant cette satanée crise sanitaire qui nous envahit. Et si après l’annulation des JO d’été, Esch 2022 pouvait tomber à l’eau également, reporté aux calendes grecques par la faute à l’autre tête à claques; quelle aubaine!, on s’en tirerait à bon compte, sans devenir la risée de qui que ce soit, sauvé par le gong et le chaos ambiant …!? Un mal pour un bien en quelque sorte! Qu’on se rassure, je n’avais aucunement l’intention de me ruer sur les ultimes rouleaux papiers toilette, quitte à passer la main, vu qu’un papier bien torché m’importe bien plus que ce produit de derrière solution … A défaut de masque, introuvable dans le commerce, mais de bonne foi, je me suis rabattu sur ma plume, quitte à m’affubler faute de mieux de celui de Winnie l’ourson … ou de Don Guychotte.

Suivant par ailleurs les bons conseils de Paulette à bicyclette, je trimbalais dans ma musette un flacon de gel désinfectant et des gants en latex, les préservatifs des temps présents et qui, s’ils n’empêchent pas à songer à la bagatelle interdisent néanmoins tout passage à l’acte spontané, voire extraconjugal … A deux mètres de distance, bien monté ou non, on s’y voit mal … Seuls les petits oiseaux pressentant le printemps avaient le droit de s’envoyer en l’air et batifoler en passant en rase-mottes et par deux, entre les futaies. Ils communiquèrent entre eux en lançant leurs petits cris caractéristiques stridents „kiwitt, kiwitt, kiwitt“, qu’à l’insu de mon plein gré je me surpris soudain à interpréter à mon tour comme des „covid, covid, covid“ très inquiétants!

„Merde alors“

Sur le qui-vive et les nerfs à vif, conditionné par LCI, voire RTL à longueur de journée – hier j’ai zappé puis tout débranché – serais-je moi aussi en train de délirer grave et à céder à la panique ambiante …!?  „Merde alors“ comme dirait l’autre en voyant les frontières se refermer comme des coquilles, les dirigeants français et Macron à leur tête continuer à prendre leurs sujets de haut, qui plus est par des drones de science-fiction, avec la stricte interdiction de se mouvoir peu après les avoir envoyé au casse-pipe des Municipales … l’ancien maire vosgien de Saint-Nabord en ayant fait les frais, les Allemands dans de nouveaux uniformes retrouver certaines vieilles habitudes et l’Europe de Schengen du coup se dégonfler comme un leurre.

En traversant la forêt du „Lankëlz“, peuplée en majeure partie de vieux chênes aux longs troncs rugueux – d’où peut-être son nom? – là où normalement on doit faire très attention au détour d’un des nombreux virages serrés de ne pas entrer en collision avec un de ces nombreux cyclistes néophytes arrivant en sens inverse sur leurs vélos flambant neufs et allant bien trop vite par rapport à leur piètre pilotage, je ne rencontrais cette fois-ci que quelques très rares personnes à pied. La preuve que les gens semblent prendre le danger tout à fait fondé émanant du virulent virus autrement plus au sérieux que l’improbable menace émanant des redoutables chenilles processionnaires qu’il y a un an … on avait dressé en épouvantail dans ce même massif. A l’orée du bois mon chemin croisa celui d’une jeune joggeuse qui en guise de coucou me fit un petit sourire complice qui égaya mon cœur et me fit oublier un court instant mes angoisses naissantes.

En bifurquant vers Lallange et une fois sur la route normalement très fréquentée, baignée par une lumière crue et balayée par une brise frisquette, pas le moindre bruit de voiture ni personne à l’horizon, ce qui en temps normaux en tant que cycliste aurait dû me ravir. Mais là, vu le contexte il en était tout autrement.

Tout était différent

Aux alentours pourtant rien n’avait changé mais tout était différent, le calme étrange et le silence devenu pesant. Arrivé devant le bistro, pas un seul pilier de comptoir, pas de pirates non plus, sans doute planqués en fond de cale du rafiot démâté, les bouteilles de rhum „hydro alcooliques“ vidées. Mais blague à part, la situation est sérieuse et si l’humour comme antidote commence à avoir du mal à agir, c’est que cela sent le roussi, mais de là à faire dans mon froc? Tout est chamboulé jusqu’à l’automate à baguettes préfabriquées d’en face jusque-là et à juste titre tant décrié, mais qui, vu les circonstances et la distanciation de mise dans les boulangeries, se voit provisoirement réhabilité, voire déclaré d’utilité publique un peu au même titre que la presse en ligne … et ce même par ses plus farouches détracteurs dont je fais partie! Dire que chez „Pêcheur“, au grand dam de l’ULC alertée, on n’a même plus le droit de payer son pain en espèces, alors que comme seule carte, j’ai uniquement celle du parti résistant et pour le reste quelques autres valeurs.

Arrivé route de Luxembourg, tout me parait encore plus irréel et étrange, cela fait déjà un bon moment que j’ai fini de siffloter, je gamberge et commence à angoisser un peu plus sans savoir exactement pourquoi … Et si c’était ce silence persistant et devenant assourdissant à la fin, qui me file le bourdon? Et puis en passant le „Dippach“ – le „deep“ Bach – pas si profond que ça d’ailleurs, en cet endroit précis, soudain le déclic! Ça y est, j’y suis: ce contraste entre le très beau temps, la nature qui se réveille, la kermesse prête à s’installer et cette atmosphère lourde, ce danger diffus qui plane et qui se précise, cela ne vous dit rien à vous les jeunes, mais cela me rappelle des choses bien précises m’ayant visiblement marqué, dont j’avais certes et à vrai dire seulement entendu parler par ma maman et qui là brusquement ressurgirent à tel point que je m’y sentais comme replongé, voire transposé dans le passé alors que ces faits remontent désormais à plus de sept décennies et que je n’étais pas né … Le 10 mai 40, rien de comparable mais une parallèle quand même et toutes proportions gardées, du moins pour le moment, le grand beau et les „sales boches“ comme on dît, le virus nazi aux portes d’Esch faisant suite à l’hécatombe du choléra en 1863 et envahissant par la suite toute la planète! Contrairement au Corona à la gueule sournoise de mine marine, un ennemi bien visible lui en habit vert de gris qui se faufile en direction du centre-ville devant les yeux horrifiés du dépositaire des Bières d’Esch, M. Biwer et de sa femme, lorgnant de derrière les jalousies de leur maison louée au peintre Mousset.

Le calme plat et inquiétant

Né quelque quatre ans plus tard, j’ai eu la chance de voir le jour une fois la guerre terminée, mais s’il n’y eût heureusement plus d’explosions en cet immédiat après-guerre, c’était néanmoins, si vous me permettez cette métaphore, un peu comme si la poussière était toujours suspendue en l’air en prenant tout son temps avant de se poser … Une „drôle d’après-guerre“ en quelque sorte, que nous sentions, dont nous captions les ondes et à laquelle nous jouions en faisant pan, pan. Ces automitrailleuses françaises roulant à notre secours depuis Audun, et leur équipage se sacrifiant en essayant vainement de stopper l’invasion allemande. Le premier de ces blindés légers sautant sur une mine en voulant passer le pont à la hauteur de la station Shell, un autre s’embourbant sur les rivages du ruisseau. Ce tragique épisode suivi de bien d’autres encore, comme celui épique de l’évacuation, un identique calme plat et inquiétant régnant la veille dans les rues, ce furent nos parents, oncles, tantes et jusqu’aux voisins qui n’arrêtèrent pas de se les évoquer, voire ressasser, heureux d’en avoir réchappé en nous les servant par petites doses
avec la potée du soir, nous épargnant les innommables horreurs sur lesquelles nous venions d’ouvrir les yeux, tout en nous recommandant déjà de bien nous laver les mains avant de passer à table et de nous méfier plus tard comme de la peste des imposteurs politiques et fachos!