Les tiers-lieux culturelsL’art nouveau de la cohésion sociale

Les tiers-lieux culturels / L’art nouveau de la cohésion sociale
La Kulturfabrik est un exemple d’un tiers-lieu culturel – comme ici, en juin dernier, lors de l’AfrikaFest  Photo: Editpress/Didier Sylvestre

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Les tiers-lieux culturels sont des espaces de collaboration entre artistes et d’implication des usagers dans la production et la diffusion culturelle. Avec une forte dimension sociale pour ciment.

„Pianofabriek“ à Bruxelles, „La condition publique“ à Paris, „ExRotaprint“ à Berlin … la reconquête de lieux de production à l’abandon, pour les transformer en espaces de création et de rencontres, ancrés dans le territoire et sa population, se sont multipliés en ce début de 21e siècle. Le nom de tiers-lieu donné à ces nouveaux lieux de réinvention de la société rappelle que ce n’est pas un phénomène tout à fait nouveau.

Dans les années 80, on les désignait de fabriques de l’imaginaire. Et à la fin de cette même décennie, le professeur américain de sociologie urbaine Ray Oldenburg les a fait entrer dans le concept de third place, forgé pour désigner les lieux de sociabilité qui ne sont ni le travail ni le domicile et remplissent une fonction essentielle pour la société civile, la démocratie et l’engagement civique.

Le Luxembourg en manque d’espaces de création

Le tiers-lieu culturel tel qu’on l’entend trois décennies plus tard reste le produit de la désindustrialisation qui libère des espaces pour répondre à la croissance en nombre et en qualité de formation de la population artistique. Mais il est aussi le fruit d’aspirations organisationnelles et sociales bien de leur époque. Il y a ainsi le souhait de partager les ateliers, de créer ensemble, d’horizontalité. Mais aussi de s’identifier et se confronter au territoire et à sa population. Là où dans les années 90, l’un des champs d’exploration artistique résidait dans l’interdisciplinarité, il est désormais dans la confrontation au public. Après le décloisonnement des esthétiques vient le décloisonnement de la société, comme le théorisait le directeur de l’un de ces lieux, le Plus petit cirque du monde, Eleftérios Kechagioglou, dans un entretien au quotidien français Libération en 2018.

Le Luxembourg est resté un peu à la traîne de ces développements. La pression immobilière rend leur éclosion plus aléatoire. Pourtant une table ronde organisée par l’Oeuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte en mars 2018 avait démontré que le Luxembourg souffre d’un manque criant d’espaces de création. Les demandes d’aides aux jeunes artistes à cet organisme de soutien à l’innovation sociale démontrent que les jeunes créatifs du pays aspirent toujours plus aux ateliers partagés, aux pratiques de cocréation avec le public. En bref, d’être moins centré sur l’ego et de se tourner davantage sur la collectivité.

Esch 2022 et son potentiel

Soucieuse d’identifier des besoins à couvrir, l’Oeuvre a décidé de lancer un appel à projets pour combler l’écart entre la demande très forte et l’offre très réduite. Esch capitale européenne de la culture 2022 ne pourrait prêter un meilleur cadre. Le Sud du pays abrite beaucoup de friches industrielles qui se sont toujours bien prêtées à une telle initiative.

Pour autant, le tiers-lieu culturel peut être aussi éphémère, vagabond. Ce peut être un projet qui va d’une commune à l’autre ou encore un parc de containers sur un champ loué à un agriculteur. „On essaie de laisser le plus de liberté que possible. Ephémère n’est pas le contraire de durable, si le tiers-lieu culturel opère un changement dans les attitudes ou l’esprit du public“, explique Florence Ahlborn, coordinatrice de projets culturels et sociaux à l’Oeuvre.

Mélanger les publics

La proposition doit envisager le lieu. 1,2 million d’euros est abreuvé à parts égales par l’Oeuvre et Esch 2022 afin de financer le contenu de trois projets de tiers lieux culturels sur une durée de trois ans (une année de conception, une année de mise en oeuvre et une année de fonctionnement en 2022). L’idée est que la promesse de financement apportée par l’appel à projets peut être un élément déclencheur pour un propriétaire privé ou institutionnel. 

Quand on mélange les activités, on mélange les publics

Florence Ahlborn, coordinatrice de projets culturels et sociaux à l’Oeuvre nationale de secours Grande-Duchesse Charlotte

Les projets de tiers-lieux culturels doivent avoir pour principales caractéristiques une composante sociale forte, une collaboration entre les personnes qui y travaillent et la cocréation avec ses usagers, dont les besoins et attentes sont pris en compte. La culture est ce qui rassemble mais ce n’est pas nécessairement ce qui motive le passage par ces lieux. L’idée de ces tiers-lieux est de multiplier et varier les raisons de s’y rendre, que ce soit par des cours participatifs, des cours de langue, des „repair cafés“, des offres de restauration … „On essaie de mélanger les activités. Et quand on mélange les activités, on mélange les publics“, explique Florence Ahlborn.

C’est ainsi que ces tiers-lieux culturels sont censés réussir là où les institutions publiques traditionnelles échouent: attirer le grand public. „A travers l’interaction d’univers différents, les tiers-lieux culturels favorisent de nouvelles sociabilités et deviennent des espaces d’expression, de croisement, ouverts et conviviaux, qui donnent envie de revenir“, dit encore l’appel à projets. 

La Kulturfabrik comme tiers-lieu culturel

Sur les réseaux européens, tels „Encore heureux“ ou le plus ancien „Trans Europe Halles“, qui tentent de fédérer ces initiatives qui se comptent en milliers, on ne retrouve pas encore de tiers-lieu luxembourgeois. Même si elle n’en réunit pas tous les signes distinctifs, la Kulturfabrik d’Esch reste sans doute l’un des exemples plus aboutis de ce genre d’espace dans le pays  „La KuFa est un tiers-lieu culturel“, explique son directeur, Serge Basso de March. „Et cela sous plusieurs aspects: ses anciens bâtiments industriels, sa programmation particulière, son projet artistique mais aussi sa façon de faire collégiale et collective.“

La restauration, le café, le cinéma, les cours en tous genres, les animations sont aussi des facteurs multiplicateurs de la fréquentation du site. Si Serge Basso de March voit encore des possibilités de développement vers le tiers-lieu culturel, c’est surtout dans la réflexion à mener sur le rapport avec le territoire. Avec la réserve que chaque site reste conditionné par son histoire et par sa taille. Et l’aménagement des friches de Schifflange voisines de la KuFa risque à terme de changer la donne. 

Appel à projets

Lancé en décembre, l’appel à projets „Tiers-lieux culturels“ court jusqu’au 31 mars. Il est ouvert aux personnes morales à but non lucratif, aux personnes physiques privées ainsi qu’à toute collectivité locale souhaitant se constituer en personne morale à but non lucratif. Le projet doit être réalisé sur le territoire de l’une des onze communes du Sud du pays faisant partie de la Capitale de la culture Esch 2022. L’annonce des projets sélectionnés aura lieu durant le mois de mai. Infos: www.oeuvre.lu.