L’histoire du temps présent: Toutes aux urnes!

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Septembre 1919, il y a très exactement 100 ans, le Grand-Duché est en effervescence et attend. Luxembourgeoises et Luxembourgeois s’apprêtent à faire un choix crucial, l’avenir du pays est en jeu. C’est la première fois à plus d’un titre: le mode de consultation par référendum, exercé par les hommes et les femmes de 21 ans et plus, décidant le 28 du mois du régime politique et de la future union économique avec la France ou la Belgique, et à la fin octobre, les premières législatives au suffrage universel.

De Martine Richard (C2DH)

La presse partisane se fait peu ou prou l’écho des arguments défendus à la Chambre des députés et par les féministes. Comment a-t-elle présenté le cheminement de cette égalité politique?

Partis politiques, députés de la Constituante élue en août 1918 et gouvernement de coalition dirigé par Emile Reuter, tous veulent supprimer le suffrage censitaire, mais il n’y a pas d’unanimité au sujet du droit de vote et d’éligibilité des femmes. Pour les socialistes, l’égalité politique est une question de principe! La stratégie du Parti de la Droite cléricale pro-dynastie en faveur de l’égalité est récente. Quant aux libéraux, défenseurs avant-guerre du principe de l’égalité dans l’éducation, ils s’y opposent.

Reflet d’une époque

L’hebdomadaire du parti socialiste Die Schmiede (La Forge) commence sa propagande électorale en juin 1918. Intitulé Frauenstimmrecht, l’article défend l’idée que les femmes ont droit au suffrage politique parce qu’elles mènent une vie active au sein d’une société luxembourgeoise dont elles doivent respecter les lois; une pétition exigeant le droit de vote est adressée aux députés par trois militantes: la journaliste Marguerite Mongenast-Servais pour Luxembourg, la syndicaliste Marguerite Hey pour Differdange et Jeanne Meier-Heucké pour Esch. Six pétitions avec 295 signatures seront envoyées à la Constituante.

Et surtout, le député Jos Thorn annonce, que le Parti socialiste luxembourgeois a décidé lors de son congrès annuel de juillet 1917 de revendiquer le droit de vote pour tous les hommes et les femmes de 21 ans et qu’une propagande utile doit initier la femme au monde politique. Aussitôt la réforme électorale votée le 8 mai, les conférences et les appels à l’action des femmes se multiplient.

Frauen wacht auf! Die Zeiten ändern!

Une rubrique spécifique traitera des questions de travail, de salaire, d’études, de droits civils, d’éducation et de protection féminines dans le but d’unir les femmes pour l’égalité et la liberté; critiquant au passage les idées défendues par les femmes cléricales. Trois candidates sont proposées pour les législatives: Mesdames Thomas et Grethen à Luxembourg et Lamesch à Esch. „Nous (…) voulons combattre pour la république contre la monarchie et une union avec la Belgique.“

Le Escher Tageblatt rend compte des débats à la Chambre et s’étonne de la facilité et de la rapidité avec laquelle les femmes obtinrent leur égalité politique. „Nous n’avons pas de suffragettes et nous allons avoir le suffrage des femmes. Elle est bien bonne!“ Les articles sur les droits des femmes écrits par les hommes sont plutôt moqueurs et n’envisagent pas une réforme intégrale de la société. Le Passant dans sa chronique ironise sur le manque de formation politique des femmes. Cet organe démocrate estime que le vote est „un jeu trop dangereux pour ces femmes ignorantes“; alors que „les électrices de la Droite pourront se faire aider par le curé, les Socialistes ne sont pas encore prêtes“, il apprécie chez la femme son travail d’éducation et de fée du foyer et note „avec le droit de vote féminin, nous les hommes, nous perdrons un peu de domination. Mais l’entrée des femmes en politique peut être positive, si elle apporte quelque chose de neuf dans l’assemblée – moins d’intrigue, plus d’amour et de sens maternel.“ Pour les élections, il n’invite pas à soutenir les candidates, les hommes politiques de gauche étant la valeur sûre. „Votez pour Emile Mark et Aloyse Kayser, mais pas pour le Parti de la Droite!“

Le Luxemburger Wort (LW), organe de l’évêché et du Parti de la Droite, ne s’intéresse au suffrage féminin qu’à partir du moment, où il peut influencer le jeu politique pour préserver dynastie et indépendance du pays. Rares sont les articles consacrés aux femmes dans le quotidien, puisque qu’un supplément hebdomadaire leur est dédié. On y critique les libéraux. „La position de ces derniers vis-à-vis du vote des femmes est limpide; ils pensent que cela ne pourra renforcer leur parti, donc ils s’y opposent“ et l’attitude des Catholiques est justifiée „donner le suffrage universel aux femmes est une chose juste et essentielle en ce moment (…) à connaissances égales, hommes et femmes ont, aussi bien l’un que l’autre, la possibilité de s’intéresser aux affaires d’Etat. (…) D’autres hommes sont contre le droit de vote féminin, ceux qui risquent d’attraper un complexe d’infériorité, parce qu’on laisse maintenant aussi voter les femmes faibles.“

Emile Reuter, avocat, membre fondateur du Parti de la Droite, Premier ministre de 1918 à 1925

Le supplément hebdomadaire du LW, le Luxemburger Frau milite en faveur du suffrage féminin dès fin mai 19: Zum Frauenstimmrecht, ces articles mettent en garde contre les dangers du socialisme. Une propagande électorale claire et détaillée y est développée pour permettre à toute femme de comprendre le déroulement et le but des référendums et législatives. Il est précisé que l’acquisition du droit de vote n’est pas une émancipation totale si tous les autres droits féminins civils et professionnels ne sont pas admis. Il faut continuer à développer l’éducation car ce droit de vote est inattendu. „Qu’on en pense du bien ou du mal, il est nécessaire d’assumer la lourde responsabilité qu’on vous a mise en main! Il faut en être consciente et vouloir s’assumer sans pour autant en oublier son rôle familial envers mari et enfants.“ En politique, le rôle de la femme est primordial, la consigne est de voter pour la Grande-Duchesse et contre la république laïque, et aux législatives „Votez pour la candidate de la Droite: Madame Schleimer-Kill à Esch“.

Le Luxemburger Zeitung reprend les points de vue défendus par les libéraux dans ses comptes rendus de la Chambre des députés: „Le suffrage universel avec la représentation proportionnelle sans panachage provoquera un désastre électoral. Ajoutons les femmes et les libéraux sont noyés!“ Pour le célèbre pamphlétaire Batty Weber dans sa chronique l’Abreißkalender „c’est une comédie dont les résultats ne modifieront pas le cours des choses. Il réduit à rien la valeur de l’acte qu’une majorité de Luxembourgeoises fait pour la première fois ce jour de référendum. En économie, il y a une victoire française qui ne sert à rien; politiquement les catholiques sont vainqueurs. Il déconseille aux maris de vouloir influencer leur femme, car il est persuadé qu’elles préfèrent la croix au drapeau bleu.“

Du côté libéral francophile, le journal l’Indépendance Luxembourgeoise soutient l’idée du professeur (Lycée de jeunes filles) A. Oster prétextant que „la femme n’est pas encore assez instruite pour faire une entrée dans l’arène politique“. Un autre auteur „ne voit pas en quoi le droit de vote féminin rehaussera la position du sexe faible“. Au lendemain des premières élections au suffrage universel, il „attribue la victoire de la Droite au suffrage féminin et à son manque de discernement“. Plus tard, le journal résume ainsi les résultats du 26 octobre: „Les catholiques luxembourgeois viennent de remporter une superbe victoire. Elle leur donne une majorité absolue à la Chambre (27 sièges sur 48).

Les libéraux sont en recul: deux de leurs leaders sont restés sur le carreau. Mais la grosse désillusion est pour les socialistes. Ils avaient escompté une majorité et ils entrent moins nombreux (8 au lieu de 12). C’est dur … Ils accuseront les femmes cléricales. Mais combien de femmes, combien de jeunes filles auront émis un vote différent de celui du père de famille! (…) le pays reste profondément attaché à la tradition catholique.“
L’essentiel concernant notre sujet, l’article ne le mentionne guère: l’élection de la socialiste Marguerite Thomas-Clement, seule femme de la nouvelle Chambre des députés. Elle y siégera jusqu’en 1931!