L’histoire du temps présent: L’éternelle bataille

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Dans notre mémoire collective, le Débarquement allié en Normandie a laissé l’image d’une épopée triomphale qui a provoqué la chute du régime hitlérien et permis la libération de l’Europe. Cette interprétation doit moins aux faits qu’aux représentations que l’événement a engendré. Le D-Day n’est pas seulement un épisode du passé mais un mythe fondateur, régulièrement réécrit.

Par Vincent Artuso, historien

Dans l’ensemble, et vu après coup, l’Opération Overlord a certainement été un succès militaire et une prouesse logistique. Le 6 juin 1944, cinq plages normandes furent prises d’assaut par près de 160.000 soldats alliés. Des centaines de milliers d’autres vinrent les rejoindre. Au total, au bout de 87 jours de campagne, plus de deux millions d’hommes, presque un demi-million de véhicules et 3 millions de tonnes d’équipement et de nourriture furent débarqués sur les côtes du Calvados et du Cotentin. Les Anglo-Américains n’ont toutefois pas atteint les objectifs qu’ils s’étaient fixés pour le D-Day. Les plages du Débarquement ne furent pas unies le jour-même mais seulement une semaine plus tard. A ce moment-là, le corps expéditionnaire n’avait progressé au mieux que de 24 kilomètres à l’intérieur des terres.

Les Allemands avaient parfaitement su exploiter le terrain. Le dédale de haies, hautes et touffues, qui morcellent le bocage normand leur permit de déployer leurs chars et leur artillerie, malgré l’absolue domination du ciel de leurs adversaires. Les alliés ne purent prendre Cherbourg que le 1er juillet, Saint-Lô et Caen vingt jours plus tard. Enfin, ce n’est que le 1er août, soit deux mois après avoir traversé la Manche, qu’ils réussirent à quitter leur tête de pont en perçant à Avranches.

Pendant ce temps, sur le front de l’Est …

Le Débarquement n’a pas directement provoqué l’écroulement du régime hitlérien. La guerre a duré encore près d’un an après le D-Day. Il faut par ailleurs garder à l’esprit qu’au même moment des événements tout aussi considérables et décisifs se déroulaient sur le front de l’Est. L’Armée rouge avait arrêté l’avancée allemande à Stalingrad, pendant l’hiver 1943. Durant l’été de la même année, elle avait définitivement arraché l’initiative en remportant la bataille de Koursk. Dans les mois suivants, elle reprenait l’Ukraine et l’Ouest de la Russie. Acculés à la retraite, les Allemands avaient tout de même réussi à maintenir un front uni. Mais alors que les alliés étaient cloués dans le bocage, les Soviétiques lancèrent leur grande offensive d’été, baptisée Opération Bagration. Le 22 juin 1944, près de deux millions et demi d’hommes, appuyés par près de 24.000 pièces d’artillerie, 4.000 chars et 6.000 avions s’élancèrent vers l’ouest.

Le groupe d’armée Centre fut anéanti, les Allemands perdirent 400.000 hommes. Cela reste, jusqu’à ce jour, la plus grande catastrophe de leur histoire militaire. En quelques semaines, l’Armée rouge avança de 600 kilomètres. A la mi-août, elle atteignait les frontières de la Roumanie, la Vistule et les marges de la Prusse orientale, faisant même une première incursion dans le village allemand de Nemmersdorf. Ces victoires allaient permettre à l’Union soviétique d’étendre sa domination sur l’Est de l’Europe.

Le mythe fondateur du Monde libre

Le Débarquement n’a donc pas non plus libéré le continent, mais tout au plus sa moitié ouest. Alors que le monde se dirigeait vers la Guerre froide, les Occidentaux en vinrent à considérer que leur libération était la seule digne ce nom. Dans les pays de l’Est, le totalitarisme communiste s’était substitué au totalitarisme nazi. Face à eux se dressaient les nations démocratiques qui avaient récupéré leur souveraineté grâce à la puissance américaine. Overlord devint l’un des mythes fondateur du Monde libre.

Le cinéma joua un rôle essentiel dans la diffusion de celui-ci dans le grand public, en particulier „Le jour le plus long“, superproduction de 1962. Chacune des composantes du camp occidental est mise à l’honneur dans ce film. La bravoure des Britanniques et des Canadiens y est tout autant soulignée que celle des Américains. Les Français sont dépeints comme des résistants ardents, se réjouissant même d’être bombardés puisque c’est le prix de leur libération. Quant aux Allemands, ils y sont sympathiques et désillusionnés mais résignés à faire leur devoir. N’attendant au fond que l’inévitable épilogue pour pouvoir rejoindre le camp du Bien.

Mémoires antagonistes

Au-delà des représentations hollywoodiennes, des mémoires différentes, voire antagonistes, continuèrent à exister, notamment en RFA. L’idée dominante, au moins jusque dans les années 1980, n’était pas que le débarquement allié avait libéré l’Allemagne de la dictature nazie et l’avait empêché de tomber entièrement entre les mains des Soviétiques. C’était que la bataille de Normandie, puis la guerre toute entière, avaient été perdues, malgré les énormes sacrifices consentis.

Comme l’a rappelé l’historien britannique Ian Kershaw dans l’un de ses derniers livres, les Allemands se sont, presque littéralement, battus jusqu’à la dernière cartouche. Ils ont eu autant de pertes, entre le 6 juin 1944 et leur capitulation sans conditions, que pendant toutes les autres années de la guerre réunies. La mémoire française n’était pas moins ambiguë. La Normandie gardait le souvenir indicible des souffrances causées par les bombardements alliés: 20.000 morts civils, la destruction totale de villes comme Le Havre, Caen ou Lisieux. Au niveau national, le très puissant parti communiste français voyait dans le Débarquement une invasion anglo-saxonne. Le général De Gaulle, revenu au pouvoir en 1958, n’était pas loin de partager ce point de vue. Il fallut attendre la présidence de François Mitterrand pour que la France commémore l’événement en grande pompe.

La globalisation heureuse

La première cérémonie du type de celles que nous connaissons aujourd’hui eut lieu à l’occasion du quarantenaire du Débarquement, en 1984. Pour la première fois le président français y convia les dirigeants des pays ayant participé à l’Opération Overlord. La commémoration changea de nature, comme l’a expliqué un spécialiste du sujet, l’historien français Olivier Wievorka: „Dorénavant, les commémorations ne sont plus axées sur l’idée de victoire mais sur l’idée de paix, de réconciliation et de construction européenne.“ Le Débarquement ne devait plus seulement être perçu dans sa dimension militaire mais civilisationnelle. Il avait été la première étape vers la construction d’un monde nouveau basé sur la coopération, le commerce et le respect des Droits humains. Bref, d’un monde régénéré par un Occident qui avait vaincu ses démons. Cette perception s’imposa définitivement après l’écroulement de l’empire soviétique, la dernière étape en quelque sorte.

Les cérémonies de commémoration du D-Day furent transformées en grandes communions où anciens vaincus et anciens vainqueurs viendraient célébrer la fin de l’histoire et la globalisation heureuse. En 2004, les chefs d’État allemand et russe y furent pour la première fois conviés.

Le retour de l’histoire

Seulement entre-temps la situation internationale a de nouveau changé. La domination des Occidentaux est contestée et entamée, la Russie leur tient tête malgré leurs sanctions. Eux-mêmes, ne semblent plus tout à fait partager la même vision du passé et de l’avenir. L’élection de Donald Trump et le Brexit sont passés par là. Les commémorations de cette année ont bien illustré le retour des tensions. Vladimir Poutine qui n’y a pas été invité a feint l’indifférence, affirmant qu’il avait mieux à faire. Il a toutefois tenu à rappeler que le Troisième Reich n’aurait jamais été anéanti sans son pays. La presse russe a pour sa part ironisé sur l’excuse française, selon laquelle les chefs d’État étrangers ne sont conviés qu’aux anniversaires ronds – 2004, 2014, etc. Donald Trump n’a-t-il pas été reçu lui?

Oui, mais il a dû écouter les critiques à peine masquées que son homologue français lui a adressées. Dans son discours, Emmanuel Macron a tenu à rappeler la thèse très européenne que l’Amérique n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle combat pour la liberté des autres. Cette façon de dénoncer l’unilatéralisme de Trump et sa façon d’agir face à l’Union européenne n’a pas fait baisser la tension qui existe de part et d’autre de l’Atlantique. Le Débarquement n’appartient donc pas tout à fait au passé. La preuve, il est régulièrement rejoué – sur le terrain mémoriel.

trottinette josi
16. Juni 2019 - 18.59

Tant qu'il y a des hommes, il y aura des guerres. Triste vérité confirmée par l'histoire ancienne et récente!