L’histoire du temps présent: La fin de l’innocence

L’histoire du temps présent: La fin de l’innocence

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Ce printemps 2019 est celui d’un anniversaire historique. Voilà 70 ans, le Luxembourg adhérait à l’OTAN. Cet événement a infléchi l’histoire du Grand-Duché. Le statut de neutralité désarmée qui avait longtemps été le sien, lui avait permis de s’épanouir en tant qu’Etat-nation. Intériorisé, il avait fini par représenter aux yeux des Luxembourgeois une part essentielle de leur identité nationale.

De Vincent Artuso, historien

Le 4 avril 1949, le Luxembourg signait à Washington le Traité de l’Atlantique nord et devenait l’un des membres fondateurs de l’organisation auquel il donnait jour, l’OTAN. L’adhésion du pays à une alliance militaire ne saurait être sous-estimée. Il s’agit d’une inflexion majeure dans son histoire, un changement de paradigme profond, complet et même radical. La neutralité n’avait pas été naturelle au Grand-Duché, elle lui avait été consubstantielle. Dans la seconde moitié du 19e siècle, les grandes puissances européennes avaient décidé de régler enfin la question luxembourgeoise. Pendant des siècles elles s’étaient fait la guerre pour la possession du territoire entre Marne, Meuse et Rhin, à la fois verrou et le lieu de passage stratégique. En fin de compte, il fut décidé que personne ne l’obtiendrait, telle était la solution.

La souveraineté du Grand-Duché de Luxembourg fut garantie par le Traité de Londres de 1867. En échange le pays fut démilitarisé, les fortifications qui ceignaient sa capitale démantelées. A l’abri de sa neutralité, le Luxembourg put s’épanouir politiquement, économiquement et culturellement, s’engager réellement sur la voie de l’Etat-nation. En 1881, il abrogea aussi le système de milice, réduisant ses forces armées à une unité de volontaires. Les Luxembourgeois n’apprirent pas seulement à goûter les fruits d’une existence pacifique, ils finirent par considérer la neutralité comme une part essentielle de leur identité collective, un ferment et un ciment. Regardez de quelle manière a été écrite l’histoire du Luxembourg à partir de la fin du 19e siècle et jusqu’aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. Deux épisodes y sont particulièrement mis en valeur.

La neutralité intériorisée

L’un se trouve au début, l’autre au débouché d’un récit qui avait pour but de montrer la maturation de la conscience nationale. Le premier épisode est le Klëppelkrich. Il fut raconté comme l’histoire de modestes paysans qui se soulevèrent contre la France impie pour défendre leurs coutumes et leur foi. S’ils furent écrasés, ils purent au moins affirmer, à leurs yeux et à ceux du monde, l’attachement à une identité particulière qui portait déjà les germes du sentiment national. Le second est la vague de grèves qui secoua le pays à l’été 1942, après deux ans d’occupation, de germanisation et de nazification brutales. Les Luxembourgeois auraient alors prouvé qu’ils étaient unanimement résolus à résister à l’Antéchrist nazi pour protéger ce qu’ils avaient de plus cher, leur pays et leurs enfants, leur passé et leur avenir.

Ce qui frappe à la lecture de ces deux récits, c’est qu’ils ont le même détonateur: la tentative d’un régime étranger, aux aspirations révolutionnaires, de leur imposer le service militaire obligatoire. Qu’est-ce qui a le plus pesé, le refus de la domination étrangère ou un antimilitarisme purement luxembourgeois ? Le refus de la force armée a-t-il façonné le cours de l’histoire ou est-il né au cours de celle-ci? Ce qui importe, c’est que des générations de Luxembourgeois ont intériorisé la logique implicite qui structurait le récit de leur histoire contemporaine. D’un bout à l’autre de celle-ci, ils n’ont jamais tant prouvé leur existence en tant que peuple que lorsqu’ils ont refusé de revêtir l’uniforme.

Et pourtant, en novembre 1944, le gouvernement réintroduisait la conscription, s’engageait militairement aux côtés des Nations unies contre l’Allemagne et, cinq ans plus tard, adhérait à une alliance militaire tournée contre l’URSS. Il s’agissait de la conclusion d’un processus qui avait commencé avec la Première Guerre mondiale. Le Grand-Duché avait été occupé par le Reich pendant toute la durée de celle-ci, subi brimades et privations, et failli disparaître à son issue, parce que la France et la Belgique accusaient ses élites d’avoir fait preuve de complaisance à l’égard des Allemands. Ces événements rompirent sans ménagements la bulle, l’illusion d’isolement salutaire, dans laquelle vivaient les Luxembourgeois.

Les dirigeants du pays en tirèrent la conclusion que brandir son statut neutre ne suffirait pas à préserver son indépendance si une situation similaire se reproduisait. A la suite de la deuxième invasion allemande, le 10 mai 1940, après sa fuite, et au bout d’un moment de flottement, le gouvernement en exil prit clairement et résolument parti pour les Alliés. En 1945, le Luxembourg appartenait ainsi au camps des vainqueurs et participa même à l’occupation militaire de l’Allemagne.

Dans le camp occidental

La création d’une armée d’appelés fut accueillie favorablement dans le contexte de la libération. Mais les premiers mobilisés appartenaient aux classes d’âge 1925 et 1926. Déjà enrôlés de force par les Allemands en 1943, l’idée d’endosser de nouveau l’uniforme, fût-il luxembourgeois, ne les enchantait guère. L’opinion commença à vaciller. Au retour des premiers prisonniers libérés du camp soviétique de Tambov, en novembre 1945, elle se retourna complètement et définitivement. Le pays aurait pu revenir à la neutralité. Il en advint autrement. D’abord parce que le Luxembourg craignait, tout comme ses voisins européens, une éventuelle résurgence de la puissance militaire allemande. Ensuite parce que la partition progressive du continent entre Est et Ouest, le début de la Guerre froide, ne lui laissèrent d’autre choix que de choisir un camp.

Poussés par la crainte de l’Union soviétique et le dénuement qui rendait indispensable la protection américaine, les pays d’Europe de l’Ouest resserrèrent leurs liens entre eux et avec les Etats-Unis. Le Luxembourg jouera dans ce processus un rôle sans commune mesure avec sa taille. En 1948, il adhéra à l’Union occidentale et donc, un an plus tard, à l’OTAN en même temps que les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Islande, le Danemark et le Portugal. L’intégration européenne et atlantique fut soutenue par l’ensemble des forces politiques à l’exception, bien sûr, du parti communiste. Cette quasi-unanimité mit un terme aux polémiques contre l’armée et le service militaire obligatoire, en tout cas pour un temps. Les choses se corsèrent au moment où il fallut déterminer concrètement de quelle manière le Luxembourg participerait à la défense de l’Occident.

Le gouvernement CSV-LSAP de Joseph Bech avait d’abord vu les choses en grand, voire en très grand et, pour beaucoup, en trop grand. Il décida que la contribution du Luxembourg à l’OTAN prendrait la forme d’un Groupement tactique régimentaire (GTR), dont les effectifs devaient permettre à l’armée luxembourgeoise d’aligner 10.400 hommes, 1.000 véhicules et une petite force aérienne, en temps de guerre. Eugène Schaus, importante figure du DP, alors dans l’opposition, se fit le plus bruyant et le plus efficace contempteur du GTR. Il en dénonça tout autant l’inefficacité militaire que le coût exorbitant. Après les élections législatives de 1959, le DP forma de nouveau un gouvernement avec le CSV. Devenu ministre de la Force armée, Schaus supprima le GTR. L’unité fut remplacée par un bataillon d’artillerie, fort de 450 volontaires, intégré dans la 8e division d’infanterie américaine, basée en Allemagne.

Le retour du refoulé

La professionnalisation de la contribution luxembourgeoise à l’OTAN préfigurait l’abolition du service militaire obligatoire. Celle-ci fut finalement votée le 22 juin 1967, après un bras de fer entre la Chambre des députés et le gouvernement. Bien que la plupart des parlementaires restaient fermement attachés à l’alliance atlantique, ils ne voulaient décidément plus se résoudre à voter des budgets militaires qu’ils jugeaient, comme nombre de leurs électeurs, disproportionnés. Il est vrai qu’au moment de la mise en place du GTR, autour de 1954, l’armée absorbait à elle seule près de 10% du budget total de l’Etat. Il s’agissait d’un pic. Sur l’ensemble de la période 1944-1967, la proportion moyenne des dépenses militaires fut plus basse et en tout cas inférieure à celle des autres pays de l’OTAN. En réalité, c’est parce que l’armée était impopulaire que les sommes qui lui étaient allouées paraissaient faramineuses, non l’inverse. La société la rejetait pour des raisons historiques.

Quant à l’exemplaire original du Traité de l’Atlantique nord conservé au ministère des Affaires étrangères, il fut passé à la broyeuse, il y a quelques années, par mégarde, parce qu’il fallait faire de la place. Faut-il juste y voir une énième démonstration de l’aversion pour les preuves historiques propre au Luxembourg ou bien une expression de son antimilitarisme refoulé?

Disperdal
20. Mai 2019 - 0.16

Dieser Beitrag von V Artuso hat mich angenehm überrascht. Ich hatte von Ihm bis jetzt hauptsächlich kontroversere Artikel gelesen über Judenunterdrückung und Kollaboration in unserem Land. Diesmal habe ich wirklich mit Freude und Interesse fertig gelesen und Zusammenhänge erfahren. Danke.