L’histoire du temps présent: L’existence posthume de Jean de Luxembourg

L’histoire du temps présent: L’existence posthume de Jean de Luxembourg

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Le Grand-Duc Jean, a été inhumé la semaine dernière au cours d’une grande cérémonie nationale. Son prénom lui venait d’un ancêtre prestigieux, Jean l’Aveugle, roi de Bohême et comte de Luxembourg. Le souvenir de ce roi-chevalier est resté vivace au cours des six derniers siècles, au point d’être régulièrement réinventé.

De Vincent Artuso

La chapelle de l’ermitage de Kastel-Staadt est accrochée à un éperon rocheux qui domine la vallée de la Sarre et la petite localité de Serrig. C’est un endroit pittoresque, romantique au sens premier du terme. Imaginez-vous l’endroit au crépuscule ou battu par l’orage, vous obtiendrez un tableau de Caspar David Friedrich. C’est probablement pour cette raison que, dans les années 1830, le roi de Prusse Frédéric Guillaume IV décida d’y ériger un sépulcre digne d’accueillir son aïeul, Jean l’Aveugle, roi de Bohême et comte de Luxembourg.

Tout au long de son existence, le roi-chevalier du 14e siècle n’avait cessé de parcourir l’Europe. Même mort il continua à se déplacer. Tout d’abord, il avait été inhumé dans la crypte de l’abbaye de Münster, à Luxembourg. Deux siècles plus tard, après la destruction de celle-ci, sa dépouille fut déplacée à l’abbaye de Neumünster, dans le Grund.

En 1795, les Français étaient sur le point de s’emparer de Luxembourg. Un petit cercle d’admirateurs était fermement résolu à ne pas laisser les précieux restes tomber entre les mains des révolutionnaires impies. Jean-François Boch-Buschmann, l’un des futurs fondateurs de l’entreprise Villeroy & Boch, se chargea de les faire sortir de la ville-forteresse assiégée et de les mettre en lieu sûr chez lui, à Mettlach, où le roi de Prusse finit par les découvrir.

Ces pérégrinations posthumes témoignent de la fascination que le personnage historique n’a cessé d’exercer depuis six siècles. S’il a si souvent changé de sépulture, c’est que son souvenir ne s’est jamais éteint, qu’il est resté vivace au point d’être réinventé à différentes époques. L’historien Pit Péporté s’est penché sur ce sujet dans un beau livre intitulé Constructing the Middle Ages.(1)

Héros multinational

Péporté montre par exemple comment la figure de Jean l’Aveugle a été, aux 19e et 20e siècles, investie par des imaginaires nationalistes rivaux. Pour le nationalisme allemand, ce rejeton de la maison de Luxembourg, lignée qui a donné trois empereurs au Saint Empire – dont le père et le fils de Jean –, était bien entendu un héros allemand. Le nationalisme français voyait dans ce roi étranger, tombé à Crécy avec la fine fleur de la chevalerie, l’illustration du rayonnement pluriséculaire de la France.

Pour le nationalisme luxembourgeois, il était la figure tutélaire par excellence. Un représentant de la plus glorieuse des dynasties ayant régné sur le pays, le seul par ailleurs qui n’avait pas délaissé son comté ancestral, qui avait même explicitement exprimé le souhait d’y être enterré. Qu’il ait été un allié de la France était un argument supplémentaire à mettre à son crédit, en cette époque où la puissance du Reich faisait peur.

La francophilie de Jean l’Aveugle fut particulièrement mise en avant après la Première Guerre mondiale. Par rejet de l’Allemagne, après quatre éprouvantes années d’occupation, mais aussi pour amadouer Paris et Bruxelles qui reprochaient à la cour grand-ducale d’avoir fait preuve d’une trop grande connivence à l’égard du Kaiser.

Cette crise avec les voisins occidentaux avait failli coûter son indépendance au pays. Elle ne fut résolue qu’après l’abdication de Marie-Adélaïde. Sa sœur Charlotte, après lui avoir succédé sur le trône, conféra à son lointain prédécesseur un rôle central dans sa communication. Ce n’est pas par hasard qu’elle baptisa son fils aîné, le futur Grand-Duc, né en 1921, du nom de Jean.

Demain, à Luxembourg

Le fait que la tombe du héros national francophile était située sur un territoire autrefois inclus dans le comté de Luxembourg, mais cédé à la Prusse après 1815, était ressenti comme une humiliation douloureuse par les nationalistes luxembourgeois. Leur chantre, Lucien Koenig, fondateur de la Nationalunio’n, commença à réclamer le retour des cendres dès 1913.

Sous son nom de plume „Siggy vu Lëtzebuerg“, il composa alors un poème, un dialogue en vers entre le fantôme de Jean l’Aveugle et „Jonglëtzebuerg“, allégorie de la jeune nation régénérée:

„Jongletzeburg! Du nobel Ras
Fu Gêscht an och vun Hîrz!
Bau mir e Grâf bei mengem
Schlas
Mat letzeburger Îrz.
Et braûch jo guer net grôs ze sin
E klèngen Èck gêt dûr,
Wann éch nur an der Hêmécht
sin –
O wèr et dach scho mûr!“

Ce ne fut pas pour le lendemain mais pour le surlendemain. Après la Seconde Guerre mondiale, le rapatriement de la dépouille était devenue envisageable. Pour des raisons idéologiques – les idées de la Nationalunio’n s’étaient diffusées dans l’opinion et dominaient au sein de la résistance –, et pour des raisons politiques et militaires – l’armée luxembourgeoise participait à l’occupation de Allemagne. Elle était notamment stationnée dans le secteur de Kastel.

Annexion ou rapatriement

En novembre 1945, le Prince Félix tint à rappeler aux premiers soldats partant pour l’Allemagne qu’ils s’apprêtaient à occuper des territoires intimement liés à l’histoire du Luxembourg:

„[L’armée] s’apprête en ce moment à passer la frontière pour aller planter notre drapeau dans un ancien territoire luxembourgeois, où quelqu’un monte la garde sur les bords de la Sarre depuis plus d’un siècle. Jean l’Aveugle vous attend dans sa chapelle funèbre et par votre présence les mânes de l’antique preux seront apaisés.“

Le ton cocardier et grandiloquent était dans l’esprit du temps. Les arguments historiques n’étaient cependant pas de pure parure. Ils devaient servir à légitimer les visées du nationalisme luxembourgeois sur les territoires occupés. Exiger que Jean l’Aveugle repose au Luxembourg ouvrait deux scénarios: soit rapatrier ses cendres, soit annexer les territoires occupés. Cette seconde possibilité fut rejetée par les Alliés. Ne restait plus que la première.

Contrairement à la légende

Contrairement à ce que dit la légende, le cercueil ne fut pas extrait de son tombeau dans une sorte d’action commando. Les secteurs occupés militairement par le Luxembourg faisaient partie de la zone française. Le gouvernement devait obtenir l’assentiment de Paris avant de pouvoir agir. Ce fut chose faite en janvier 1946.

Joseph Bech, alors ministre des Affaires étrangères, prit toutefois son temps. Croyait-il encore en de possibles annexions? Etait-il indifférent aux discours chauvinistes? Les deux explications peuvent être avancées. Le premier ministre, Pierre Dupong, finit par le convaincre d’agir grâce à un argument des plus concrets:

„Ce retour permettrait de retirer le peloton de 30 hommes stationné à Castel et d’économiser une somme annuelle d’environ 375.000 frs. sur le budget de la Force Armée. Comme le 600e anniversaire de la bataille de Crécy aura lieu le 26 août prochain cette occasion sera unique pour ramener le corps à Luxembourg et de l’inhumer provisoirement à la crypte de la cathédrale.“(2)

L’ironie de l’histoire

Six jours avant la translation des cendres, une délégation luxembourgeoise se rendit à Kastel. On y retrouvait le premier ministre ainsi que l’historien Joseph Meyers et Lucien Koenig. Quand le cercueil fut ouvert ce-dernier s’écria: „’t ass en!“

En réalité, les quelques vieux os auraient tout aussi bien pu être ceux de la marraine de Napoléon. Comment Koenig aurait-il pu faire la différence? Peu importe, la puissance évocatrice du personnage historique était à son zénith et invitait à faire des phrases. La magie opérait une fois de plus. L’inhumation du héros national dans la crypte de la cathédrale de Luxembourg ne mit toutefois pas fin aux débats. Le 6 mars 1947, Camille Wampach publia un article dans le Luxemburger Wort (3). Jean avait bel et bien émis le vœu de reposer dans le comté de Luxembourg, confirmait le médiéviste. Plus précisément il avait souhaité reposer auprès de ses ancêtres, dans l’abbaye de Clairefontaine … dans la province belge du Luxembourg.

Fallait-il respecter ces dernières volontés et, bien entendu, réclamer l’annexion du territoire en question? Wampach ne se gêna pas. Au final, ce projet eut tout autant de succès que celui d’annexer les régions de Bitbourg ou de Perl, selon le même raisonnement. Les nationalistes avaient mis en avant le symbole d’un passé glorieux pour obtenir des terres, ils durent se contenter de cendres.

(1) PEPORTE, Pit, Constructing the Middle Ages. Historiography. Collective Memory and Nation Building in Luxembourg, Leiden, Brill, 2011
(2) Archives nationales de Luxembourg, Fonds Affaires étrangères, AE-04936, lettre de Pierre Dupong à Joseph Bech du 9 avril 1946.
(3) WAMPACH, Camille, „Clairefontaine als Ruhestätte für König Johann von Böhmen, Grafen von Luxemburg, etc.“, in Luxemburger Wort, 6 mars 1947, p. 2.

Paul Dostert
16. Mai 2019 - 11.45

Si Siggy Koenig ne pouvait pas savoir si les ossements du cercueil ouvert en 1946 étaient ceux de Jean l'Aveugle, une analyse scientifique réalisée par un laboratoire tchèque en 1972 a pu démontrer qu'il s'agissait bel et bien des ossements de Jean l'Aveugle. Siggy avait donc raison sans le savoir.

Le républicain
12. Mai 2019 - 15.38

Il ne faut pas exagérer Jean de Luxembourg n'est pas famille avec notre" Blanne Jang"...il est un Nassau et les Nassau ont rien à faire avec ce preux chevalier !