L’histoire du temps présent: La Metzeschmelz, quelle histoire!

L’histoire du temps présent: La Metzeschmelz,  quelle histoire!

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Pour le lancement de la planification urbanistique des 62 ha de la friche d’Esch-Schifflange il y a une semaine, Claude Turmes, ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Energie, a prononcé un discours remarquable.

Lisez plus sur le futur du nouveau quartier Esch-Schifflange. 

Il a placé ce projet dans le contexte plus large de l’augmentation de la population des prochaines décennies et de l’évolution d’autres friches dans le pays. Il a appelé au courage politique pour transformer ces friches en quartiers écologiques et pour relier ici ce qui était avec ce qui est et ce qui sera. Donc d’intégrer l’histoire du site dans les planifications. L’histoire d’une usine mais aussi de ses relations avec les villes d’Esch et de Schifflange, avec l’Alzette et la Dipbach, avec les mines à ciel ouvert au Lallingerberg et au Galgenberg, les réserves naturelles Pudel et Brill. L’histoire écrite par les hommes sur ce site, dont un moment central de la grève générale contre l’occupant nazi le 31 août 1942.

Permettez-nous donc d’évoquer quelques aspects de l’histoire de cette usine, par laquelle commençait, il y a 150 ans, le déplacement du centre de gravité économique du centre vers le sud du pays et le (premier) boom démographique de la ville d’Esch et du Bassin minier. L’usine sidérurgique d’Esch-Schifflange mise en service en 1871 était exploitée en compte à demi par la Société des forges d’Eich, Metz & Cie ainsi que par la Société anonyme des mines du Luxembourg et des forges de Sarrebruck, dont l’usine sidérurgique se trouvait à Burbach en Sarre.

Par convention datée du 18 septembre 1871, les maîtres de forges Victor Tesch (pour Burbach) et Norbert Metz (pour les forges d’Eich), d’ailleurs liés par d’étroits liens familiaux, étaient convenus que l’usine comporterait quatre hauts-fourneaux répartis en deux groupes, que les dépenses d’établissement seraient supportées à frais communs et que les charges et les bénéfices seraient partagés.

L’usine d’Esch-Schifflange ne disposait donc pas de raison sociale propre et les installations de production les plus importantes étaient doublées, ce qui en cas de mésentente entre les deux partenaires ou de difficultés économiques aurait autorisé sans trop de difficultés la séparation des biens et installations de production. Il s’agit là d’une particularité qui reflète bien la prudence en affaires des fondateurs et qui confère à la „Metzeschmelz“ – c’est ainsi que les Eschois ne tardaient pas à désigner l’usine pour la distinguer de l’usine de Terre-Rouge dite „Brasseurschmelz“ – une certaine originalité au niveau de la gestion des entreprises sidérurgiques de l’époque.

Dès avant la conclusion de cet accord, Norbert Metz avait acquis sur le ban des localités d’Esch-sur-Alzette et de Schifflange 23 ha de terrains ainsi que le château de Berwart. L’emplacement de la future usine se trouvait à proximité immédiate des exploitations minières du Lallingerberg et du Galgenberg. C’est sur un plateau près de la ligne des chemins de fer qu’est construite l’usine.

L’avenir appartient aux grandes usines intégrées

Le premier haut-fourneau fut mis à feu le 10 octobre 1871, les trois autres suivirent à un rythme rapproché et en 1875 la production atteignit déjà 100.000 t de fonte. Les quatre hauts-fourneaux produisaient jusqu’en 1911 de la fonte de moulage (pour les fonderies) ainsi que de la fonte d’affinage (pour les fours à puddler), puis à partir des années 1880 de la fonte Thomas (pour les aciéries Thomas).

Les Metz-Tesch avaient également fixé à l’usine d’Esch-Schifflange un double objectif de production: une moitié de la production était affectée à l’approvisionnement en fonte à bon marché de l’usine sarroise de Burbach, l’autre moitié était commercialisée par Metz & Cie, pour être placée pour l’essentiel sur les marchés du Zollverein, en particulier auprès des producteurs de fer puddlé et d’acier Thomas de Rhénanie-Westphalie.

L’usine était dirigée conjointement par l’un des gendres de Victor Tesch, l’ingénieur Hubert Muller-Tesch, et par Léon Metz, fils d’Auguste Metz, premier gérant de l’entreprise portant le même nom; le premier supervisant les exploitations minières, le second prenant en charge la direction de l’usine sidérurgique. Les deux familles de maîtres de forges demeuraient au château de Berwart à proximité immédiate de l’usine.

Quatre décennies après sa fondation, il s’avéra que l’usine à fonte d’Esch-Schifflange n’était plus vraiment rentable et que sa technique de production était dépassée. La mise au point de puissantes machines à gaz de haut-fourneau avait en effet révolutionné la technique de production sidérurgique à la fin du 19e siècle. L’utilisation maximale et rationnelle des gaz de haut-fourneau, par leur transformation en force motrice, rendait possible la production en circuit énergétique fermé.

L’avenir appartenait aux grandes usines intégrées, comportant hauts-fourneaux, aciéries et laminoirs. L’usine de Burbach profita sans tarder de cette innovation technique et augmenta sa capacité de production de fonte en mettant sous feu des hauts-fourneaux de grande capacité, ce qui l’amena à réduire considérablement son approvisionnement en fonte à Esch-Schifflange après le tournant du siècle.

Au retard technologique s’ajoutait l’effondrement des prix de vente de la fonte au début du 20e siècle. Vers 1910 la modernisation d’Esch-Schifflange était devenue une question d’urgence absolue et divers projets furent étudiés. Lorsque la direction de Burbach élabora un premier plan de modernisation, d’ambition fort modeste, Emile Mayrisch, directeur de l’usine sidérurgique de Dudelange, saisit l’occasion pour soumettre un plan de modernisation d’une toute autre envergure.

Le projet de Mayrisch se focalisait sur la question énergétique, c.-à-d. sur l’utilisation optimale des gaz de haut-fourneau comme source de la force motrice actionnant à peu près toutes les machines et installations de production. Il envisageait la transformation de l’usine à fonte en usine sidérurgique intégrée avec aciérie et laminoirs, projet réalisé au même moment de l’autre côté de la ville d’Esch, à Belval, par la Gelsenkirchener Bergwerks-AG. En comparaison du plan élaboré par Burbach, ce plan très ambitieux tablait sur une augmentation considérable des capacités de production d’Esch-Schifflange, un abaissement du prix de revient du produit fini d’à peu près 20%, donnant à la fin un bénéfice net de l’usine multiplié par huit.

Modernisation de la „Metzeschmelz“ et fondation de l’Arbed

Un plan de modernisation de cette envergure n’était cependant réalisable qu’au prix d’investissements substantiels que les propriétaires de l’usine n’étaient plus en mesure d’assurer par autofinancement. Le recours à l’emprunt obligataire devenait indispensable. Mayrisch, promoteur déclaré du projet de fusion des trois sociétés de Burbach, Eich et Dudelange, ne faisait nullement mystère de son intention d’utiliser la question du lancement d’un emprunt obligataire pour faire avancer le dossier de la fusion. Etant donné que l’usine d’Esch-Schifflange ne disposait pas de raison sociale propre, le recours à l’emprunt était impossible en l’état.

Ne restait donc que le choix entre la constitution d’une nouvelle entreprise conférant une raison sociale à Esch-Schifflange et celui de la fusion des sociétés mères de Burbach, Eich et Dudelange. C’est finalement cette dernière option qui l’emporta pour aboutir à la fondation de l’Arbed à la fin octobre 1911. La modernisation de l’usine d’Esch-Schifflange constitua ainsi un puissant motif pour hâter la fusion de Burbach-Eich-Dudelange. Un emprunt obligataire à 4% d’un montant émis de 20.000.000 francs pour faire face aux dépenses occasionnées notamment par la construction de l’usine d’Esch-Schifflange fut levé par l’Arbed en 1912.

Les travaux de modernisation furent engagés en étendant l’usine en contre-bas du plateau des installations de 1871, sous la direction de l’ingénieur allemand Hubert Hoff, précédemment chef du service électromécanique à l’usine de Dudelange. Il était envisagé de construire une usine intégrée basée pour sa force motrice sur l’emploi des gaz de haut-fourneau. Ces gaz, avant utilisation, étaient épurés par voie sèche. Une partie du gaz était brûlée dans cinq chaudières multi-tubulaires. La vapeur produite actionnait quatre turbines de 4.000 kW chacune et une turbine de 15.000 kW, fournissant le courant triphasé de 3.100 volts. Quatre soufflantes MAN à gaz produisaient le vent pour les hauts-fourneaux. Une cinquième soufflante MAN pouvait marcher soit en parallèle avec la soufflante MAN de réserve à l’aciérie, soit en parallèle avec les soufflantes des hauts-fourneaux.

Le haut-fourneau n° II fut reconstruit et sa capacité de production portée à 250 t/24 h. Deux nouveaux hauts-fourneaux de même capacité (HF n° V et VI) furent adjoints au n° II et les trois nouveaux hauts-fourneaux furent mis à feu successivement entre mars et juillet 1913. L’aciérie composée de deux mélangeurs de 800 tonnes de capacité unitaire et de quatre convertisseurs Thomas de 20 t d’enfournement fut mise en service le 2 juillet 1913.
La disposition des laminoirs fut conçue de manière à permettre leur extension facile à la fois dans le sens de la longueur et dans celui de la largeur. Les laminoirs comportaient un train blooming réversible, un train trio de 500 mm, un groupe de 3 trains à fers marchands de 365, 300 et 260 mm et enfin un train à fil avec bobineuses servant au laminage de fils de fers de 250 à 285 mm, tous les trains étant actionnés par des moteurs électriques, à l’exception du blooming dont les cylindres étaient actionnés par une machine à vapeur double tandem de 10.000 CV. Les divers trains furent mis en service successivement au cours de la deuxième moitié de l’année 1913. Les halles de finissage et de chargement prolongeaient les halles des trains de laminage.

Le programme de fabrication adopté par la direction générale de l’Arbed pour Esch-Schifflange visait la fabrication de fers marchands, de profilés standardisés et de fil de fer (fil machine), future spécialité de l’usine. La réalisation du plan de modernisation de l’usine de 1911-1913 avec ses grands laminoirs signifia en fin de compte pour Arbed Esch-Schifflange l’établissement d’une usine entièrement nouvelle amorçant une deuxième phase dans le développement du site industriel.

L’histoire comme ressource, non comme coulisse

C’est dans ce laminoir que Henri Adam et Eugène Biren, deux des organisateurs de la grève contre l’enrôlement forcé de jeunes Luxembourgeois dans la Wehrmacht, ont travaillé, une grève soulignée dans le discours du ministre. Henri Adam n’a pas seulement actionné la sirène au laminoir le 31 août 1942 à 18 h pour y lancer la grève qui avait commencé le matin à Wiltz, mais il a travaillé au laminoir depuis sa mise en service en 1913.

Né en 1894, arrivé à l’âge de 4 ans d’Anspach cet ouvrier allemand devenu apatride a déjà joué un rôle important dans les grèves de juin 1917 et de mars 1921. Voilà pourquoi il fut menacé d’expulsion et voilà pourquoi sa demande de naturalisation ne fut pas acceptée. En 1942, il sacrifie sa vie pour la liberté d’un Etat qui n’a pas voulu l’adopter comme Luxembourgeois. Il passe la première nuit après son arrestation, le 9 septembre 1942, dans une cellule du commissariat de police à Esch.

L’antifasciste italien Luigi Peruzzi, arrêté le même jour et emprisonné avec lui, décrit dans ses „Mémoires“ l’attitude impressionnante de cet homme qui reste debout toute la nuit: „Parmi nous il y avait l’ouvrier héroïque qui actionna la sirène donnant le signal de la grève générale du 31 août. Je fus frappé par sa manière de rester toujours debout. Il se maintenait avec les coudes appuyés transversalement sur les barreaux en fer de notre cellule. Dans cette première et unique nuit qu’il resta avec nous, il dormit ainsi. Même si sur les parties découvertes de son corps, on ne voyait aucune trace de sévices, j’imaginais que les parties recouvertes ne devaient être qu’une seule plaie. Ce fut pendant cette première nuit de ma vie (de prisonnier) que j’appris combien on peut souffrir sans perdre la dignité. Ce fut également la première expérience de solidarité pour celui qui souffre davantage.“

Henri Adam est décapité deux jours plus tard à Cologne. Eugène Biren est fusillé dans les bois autour du camp SS de Hinzert (près de Trèves) avec 19 autres grévistes. Le directeur luxembourgeois de l’usine d’Arbed Esch-Schifflange, Mathias Koener, ne survit pas aux conditions de détention à Hinzert et meurt en mars 1943.

Aussi dans ce domaine, l’histoire de cette usine occupe une place à part sur le plan local et national. Un site industriel qui entre en 1912/13 dans une deuxième phase. Avec les laminoirs y naissent ces „cathédrales“ en acier qui ont coupé le souffle des quatre teams urbanistiques internationaux. Des équipes qui ont présenté avant-hier, après une semaine de planification créative et participative, leur vision pour le quartier futur. Des visions où le patrimoine industriel et la structure historique du site ne sont pas rabaissés au rang de coulisse, mais sont utilisés comme ressources pour imaginer et aménager la vie et le travail de demain.

Une nouvelle page de l’histoire de la „Metzeschmelz“ est en train de s’écrire sous nos yeux, après l’ère pionnière qui suit 1871, après la grande modernisation de 1911-1913, après la nouvelle extension du site dans les années 1950-1960 avec la construction de nouveaux hauts-fourneaux, d’un train laminé marchand et d’un train à fil, après la mise en service de la première aciérie électrique du pays en 1994 avec ses problèmes environnementaux, enfin après la décision de Lakshmi Mittal d’arrêter l’aciérie électrique et la coulée continue à Esch-Schifflange au profit d’ArcelorMittal Duisburg. Vivement la suite de l’histoire de ce site unique!

 

Texte écrit par Denis Scuto et Jacques Maas