L’histoire du temps présent: La guerre des ondes

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Durant la Deuxième Guerre mondiale, les combats ont aussi eu lieu sur les ondes hertziennes. Le jeune média disruptif qu’était alors la radio permettait aux belligérants d’atteindre non seulement leur population mais aussi celle de l’adversaire. La guerre des ondes a aussi été une guerre civile, notamment dans les postes de radio du Luxembourg où se sont affrontés les programmes en luxembourgeois de la BBC et la rédaction nazifiée de Radio Luxembourg.

De Vincent Artuso

La Deuxième Guerre mondiale a été le premier grand conflit durant lequel la radio a joué un rôle crucial. C’était alors encore un jeune média: la naissance des premières stations, en Europe de l’Ouest comme en Amérique du Nord remontait au début des années 1920. Jusqu’à la guerre le nombre de postes récepteurs n’avait cessé de croître. En 1939, il en existait 5 millions en France et près de 19 millions de Français, presque la moitié de la population, suivaient alors régulièrement les émissions.

L’Allemagne nazie avait de son côté opté pour une politique radiophonique très volontariste. Joseph Goebbels, ministre de la propagande du Reich, voyait dans les ondes hertziennes un outil essentiel pour forger la Volksgemeinschaft nazie. Le régime favorisa la construction en masse d’un appareil bon marché, le „Volksempfänger“, si bien qu’en 1943 près de 16 millions de foyers étaient équipés.

Les sanglots longs

Avec le début de la guerre, les belligérants ont attribué trois grandes missions à la radio. La première était d’informer la population, dans le sens de l’intérêt national bien entendu – c’est-à-dire de la mobiliser. La deuxième mission était de divertir l’auditeur, lui offrir une parenthèse de normalité. Ces deux aspects pouvaient d’ailleurs être combinés. Le plus grand tube de la Drôle de guerre, du côté allié, fut „On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried“, une chanson guillerette qui promettait la prise rapide des fortifications allemandes par les troupes françaises et britanniques …

La troisième mission était celle qui tirait le plus parti des possibilités qu’offrait la nouvelle technologie: s’adresser directement à la population de l’adversaire. Interdire la circulation de journaux était facile, intercepter les transmissions l’était bien moins. Même un état totalitaire qui, comme le Troisième Reich, cherchait à s’assurer du monopole des communications, ne pouvait s’isoler efficacement. Par conséquent, les ondes devinrent un théâtre d’opération.

Aux assauts verbaux de la rédaction germanophone de la BBC répondaient ainsi ceux des programmes en anglais de la radiodiffusion allemande. La guerre des ondes fut aussi une guerre civile opposant par exemple Radio Paris, la vichyste, à Radio Londres, la gaulliste. Tandis que sur la première, le très collaborationniste Philippe Henriot appelait les Français à lutter contre les juifs, les Bolchéviques, les Anglo-Saxons, l’humoriste Pierre Dac chantonnait sur la seconde, sur l’air de „La Cucaracha“: „Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand.“

Les programmes de la France libre étaient produits grâce à la BBC. La société de radiodiffusion britannique cherchait à entretenir l’esprit de résistance parmi les populations occupées du continent. C’est grâce à la BBC que le premier ministre tchèque en exil, Jan Masaryk, le général De Gaulle ou bien la Grande-Duchesse Charlotte ont pu s’adresser à leurs peuples, durant les années de guerre; c’est à travers la BBC que ces derniers ont pu avoir accès à une information alternative; c’est par la BBC que des messages codés pouvaient être adressés aux organisations de résistance – notamment des vers de Verlaine pour annoncer le débarquement du 6 juin 1944:

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur d’une langueur
Monotone.

Ici Londres

La BBC émettait aussi un programme luxembourgeois, qui joua un rôle fondamental dans le déroulement de la guerre au Grand-Duché. En premier lieu, la radio britannique permit à l’exécutif en exil de renouer le contact avec le pays occupé. Ce n’était pas gagné d’avance. La fuite du gouvernement et de la Grande-Duchesse, aux premières heures de l’invasion, avait été vécue comme une trahison pendant les premiers mois de l’occupation. Les ministres étaient particulièrement impopulaires, d’autant qu’ils étaient accusés d’avoir contraint la Souveraine à les suivre.

L’aura de cette dernière était en revanche quasiment inentamée. Sa première allocution fut diffusée depuis Londres, le 5 septembre 1940. La GrandeDuchesse s’y exprimait en luxembourgeois, la langue du peuple. D’autres allocutions suivirent durant les quatre années suivantes. Elles contribuèrent à fortifier le mouvement de libération nationale, pour lequel la GrandeDuchesse était devenue une icône.

A partir de 1941, la BBC diffusa toutes les semaines un quart d’heure de programmes en luxembourgeois. A côté des interventions régulières de la Grande-Duchesse et des ministres, il y avait aussi des informations, des émissions sur des sujets précis – par exemple la nécessité de lutter contre les excès du marché noir – ou même des sketchs. En juin 1942, les auditeurs purent ainsi en écouter un intitulé „The Mad Professor from Echternach Bridge“, qui se moquait de Damian Kratzenberg, le chef de la VdB (Volksdeutsche Bewegung).

Jusqu’à l’automne 1943, la rédaction luxembourgeoise tâtonna en quelque sorte dans le noir. Il n’y avait alors quasiment aucune communication entre Londres et le Luxembourg occupé. Cela changea avec l’envoi des premiers émissaires du gouvernement en exil auprès de la résistance. Les contacts qu’ils nouèrent, en particulier avec la LPL (Lëtzebuerger Patriote Liga), leur permirent de formuler des recommandations sur la manière d’adapter au mieux les émissions à la situation et aux attentes des Luxembourgeois occupés.

Ceux-ci furent de plus en plus nombreux à écouter clandestinement la BBC, malgré les peines sévères que l’occupant infligeait à quiconque était pris sur le fait. Et si les informations entendues en douce étaient largement commentées, il fallait en masquer la provenance. La Gestapo, qui veillait au grain, découvrit ainsi au bout d’un certain temps qu’au lieu de dire „J’ai entendu à la radio anglaise“, les Luxembourgeois s’étaient mis à utiliser des formules codées du genre „Tu ne sais pas ce que j’ai entendu dans le tram?“, voire „Tu ne devineras jamais ce que m’a raconté un soldat allemand?“.

Un rôle pionnier

Si le Luxembourg fut un acteur de la guerre des ondes, il en fut aussi un enjeu stratégique. Le pays avait eu un rôle pionnier dans le développement de la radio. L’une des premières stations de radio privées, Radio Luxembourg, y avait été créée en 1933. Elle disposait à Junglinster de l’un des émetteurs les plus puissants du monde, couvrant une bonne partie de l’Europe. Comme l’écrivait l’historien Emile Krier, le régime nazi avait, avant même le début de la guerre, tenté d’influer sur le contenu de cette station en faisant pression sur le petit Grand-Duché.

Dès le premier jour de l’invasion, les Allemands se saisirent des infrastructures de Radio Luxembourg. Jusqu’à la fin de l’année 1944, la Sendestelle Luxemburg leur permit de diffuser leur propagande à travers tout le continent, y compris en Angleterre. A l’heure allemande, la station fut bien entendu aussi mise au service de la politique de germanisation et de nazification du Gauleiter Gustav Simon. La rédaction, dans laquelle travaillaient de nombreux Luxembourgeois pro-allemands, resta fidèle au régime nazi jusqu’à la libération – et même au-delà.

Parmi les 10.000 Luxembourgeois pro-allemands qui quittèrent le territoire avec les fonctionnaires et les soldats du Reich, en septembre 1944, se trouvaient aussi des journalistes de la rédaction nazifiée de Radio Luxembourg. A leur tête, il y avait Eugène Ewert, l’un des principaux propagandistes de la VdB. Le petit groupe fut envoyé à Bad Mergentheim, au nord-est de Stuttgart. Il avait pour mission de continuer à produire des programmes en luxembourgeois.

Sous la rubrique „Hei sinn déi däitsch Europa-Sender“, leurs émissions furent émises quotidiennement, à partir de la décembre 1944, entre 12.00 et 12.30 h et entre 15.00 et 15.30 h, sur la fréquence de Radio Luxembourg. La moitié du contenu était dicté directement par le ministère de la Propagande du Reich ou par le service de propagande du Gau Koblenz-Trier. La rédaction se contentait de traduire la propagande et les dépêches en luxembourgeois.

L’autre partie était en revanche constituée de messages que des Luxembourgeois, qui pour une raison ou une autre se trouvaient encore dans des territoires contrôlés par le Reich, envoyaient à leurs proches restés au pays. Cette idée habile de laisser s’exprimer aussi bien les enrôlés de force que les combattants volontaires, les réfugiés proallemands que les déportés, afin d’attirer un auditoire aussi large que possible, était venue de Kratzenberg.

Lorsque les troupes américaines pénétrèrent dans le sud-est de l’Allemagne, en mars 1945, la petite rédaction fut transférée à Gemünden, en Autriche. Elle était supposée y reprendre son activité mais ce départ sonna en réalité la fin de l’aventure.