L’histoire du temps présent: La fin de la Fin de l’histoire

L’histoire du temps présent: La fin de la Fin de l’histoire

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2018 est une nouvelle année qui, dans les pays occidentaux, prend fin dans une atmosphère millénariste. La multiplication des régimes autoritaires, la montée des populismes, le Brexit sont autant de signes perçus comme annonciateurs d’une catastrophe imminente. Sommes-nous réellement arrivés au seuil de l’Apocalypse ou tout simplement au terme d’un cycle historique?

Par Vincent Artuso

En 1989, Francis Fukuyama écrivait le texte le plus influent de la fin du 20e siècle. Intitulé „The End of History?“ – avec un point d’interrogation – son article était publié par le National Interest, une revue américaine spécialisée dans les relations internationales. Le jeune politologue américain y prédisait la victoire de l’Occident, quelques mois avant la chute du Mur de Berlin.

Dans sa démonstration, cela ne signifiait pas seulement la fin de la Guerre froide mais tout bonnement celle de l’histoire. Cette dernière était en effet, selon Fukuyama, un processus dialectique se dirigeant vers une finalité, un Happy End si l’on veut. Le triomphe de l’économie de marché et de la démocratie, système qui à ses yeux était le plus à même de réaliser les aspirations humaines, n’était rien de moins que le parachèvement du combat idéologique qui remontait aux origines.

Le triomphe de l’Occident

Cette thèse a été critiquée d’emblée, notamment par un autre politologue américain, Samuel Huntington, théoricien du clash des civilisations. Ni les arguments ni les sarcasmes n’ont toutefois pu entamer l’aura de l’œuvre de Fukuyama. En 1992, „The End of History“ – cette fois-ci sans point d’interrogation – paraissait sous la forme allongée d’un essai.

Peu importait la solidité du concept. La Fin de l’histoire correspondait parfaitement à l’esprit du temps et donnait un fondement intellectuel à l’euphorie qui, suite à l’écroulement de l’URSS, s’était emparée des sociétés occidentales. Celles-ci se sentaient désormais capables d’imposer un nouvel ordre mondial, juste et humaniste, dans un contexte de mondialisation heureuse. Les frontières étaient vouées à disparaître, les Etats-nations n’étaient plus que le reliquat d’un passé obscur, tout comme la guerre qui ne serait plus désormais que le dernier recours pour diffuser les droits de l’Homme.

Si les deux pôles de l’Occident que sont l’Amérique du Nord et l’Europe de l’Ouest partageaient le même objectif d’étendre leurs valeurs au globe, ils n’étaient cependant pas tout à fait d’accord sur la façon de l’atteindre. Les Américains, qui avaient la plus grosse armée, ont opté pour la voie militaire, les Européens, qui avaient le plus gros marché, pour la voie économique.

Amérique contre Europe

La stratégie américaine visait à soumettre à leur contrôle la vaste zone déstabilisée, située entre les Balkans et l’Asie centrale. Ce projet a notamment été décrit en 1997 dans „Le grand échiquier“, livre de Zbigniew Brzezinsky, politologue américain d’origine polonaise et ancien conseiller de Jimmy Carter. Celui-ci défendait l’absolue nécessité d’imposer la pax americana à des territoires qui étaient non seulement de redoutables foyers d’insécurité mais qui de surcroît regorgeaient de pétrole.

Les Européens ont de leur côté tenté de convertir leur puissance commerciale en puissance politique. Ils ont parachevé leur marché commun, l’ont approfondi et étendu à l’est, jusqu’aux anciennes frontières de l’Union soviétique et aux Pays baltes. Ils se sont donné une monnaie commune et ont essayé de transformer leur union économique en Etat fédéral, capable de rivaliser avec les hyperpuissances de l’avenir.

L’enthousiasme des années 1990 a commencé à s’épuiser après le passage au nouveau millénaire. L’histoire n’était pas finie, son cours avait même plutôt tendance à s’accélérer et les puissances occidentales ont pris conscience qu’elles risquaient de perdre leur position prééminente.

La fin de la domination occidentale

Au tournant des années 2000, l’empire russe est sorti de la phase de déclin qui avait marqué la décennie précédente. Mais c’est la croissance inéluctable d’Etats-nations non-occidentaux, dotés d’un formidable potentiel impérial, qui a été le plus important phénomène historique et géostratégique de la période. Des puissances comme l’Inde et la Chine, éclipsées par l’expansion européenne démarrée au 16e siècle, entamaient un réveil longtemps annoncé. La domination de l’Ouest était par ailleurs contestée par des puissances régionales émergentes comme l’Iran.

D’année en année le poids militaire, économique, démographique de l’Europe et de l’Amérique s’amenuise. Cela a mené à une radicalisation qui ne vient pas en premier lieu de l’extérieur, qui ne vient pas en premier lieu d’en bas mais qui vient d’en haut. Dans une sorte de course contre la montre désespérée, les élites américaine et européenne essaient d’imposer leurs programmes impériaux conçus dans les années 1990 de manière sans cesse plus brutale.

Leur désarroi est d’autant plus grand que les résultats ne sont pas au rendez-vous. La série de guerres lancée au Moyen-Orient par les Américains ne leur ont ni permis d’atteindre l’objectif ambitieux d’y exporter la démocratie, ni celui plus limité de placer la région sous leur hégémonie. Ils ont plongé l’Iraq dans le chaos et sont embourbés en Afghanistan depuis bientôt 18 ans.

L’entêtement des élites

L’Union européenne n’a pas non plus atteint ses objectifs, malgré la disposition de ses états-membres à ignorer si nécessaire la volonté de leurs citoyens. Depuis 20 ans l’unification se fait à marche forcée, si nécessaire en ignorant les résultats des quelques référendums qui ont porté sur le sujet: aux Pays-Bas, en France, en Irlande et, bientôt peut-être, au Royaume-Uni. La préservation de l’union monétaire a quant à elle coûté de nombreux sacrifices aux peuples, en premier lieu aux Grecs. Le problème n’est pas seulement que les rêves de domination universelle des occidentaux ne se sont pas réalisés mais que les élites continuent à s’y accrocher. Pendant ce temps leurs peuples vieillissants sont de plus en plus sceptiques quant à la capacité des modèles hérités des années 1990 à répondre aux grands défis du présent: inégalités croissantes, migrations de masse et changement climatique.

Ce fossé croissant entre gagnants et perdants de la mondialisation; la tendance des derniers à contester la légitimité des premiers; leur volonté de leur retirer leur mandat pour exercer leur souveraineté expliquent cette tendance au retour à l’Etat-nation que l’on observe d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre.

Le retour des nations

Il est frappant dans ce contexte de voir réémerger des traits nationaux dont l’existence n’avait cessé d’être niée ces 30 dernières années. Britanniques et Américains retrouvent leurs vieux réflexes isolationnistes et l’expriment, eux qui ont joué un rôle central dans l’épanouissement de la démocratie représentative, par le vote – qu’il s’agisse du Brexit ou de l’élection de Donald Trump.

En Espagne, le traditionnel conflit entre Castille et Catalogne s’est de nouveau enflammé. L’Allemagne voit une résurgence du nationalisme ethnique. Pour ce qui est de l’Italie, l’individualisme autoritaire du Nord vient d’y conclure un compromis avec l’égalitarisme anarchiste du Sud. Le mouvement des Gilets jaunes est quant à lui une résurgence de la tendance française au renversement de régime, lorsque celui-ci n’est pas à la hauteur des enjeux de l’époque. Cela est un trait récurrent depuis la Révolution. Cependant, l’histoire ne se répétant jamais à l’identique, cette fois-ci la révolte est partie des campagnes et s’est heurtée à la résistance de Paris. Autrefois c’était le contraire.

Ce à quoi nous assistons en ce moment n’est pas en premier lieu la déstabilisation du monde par le populisme, mais une remise en question des équilibres due aux échecs des rêves impériaux des années 1990; ce n’est pas non plus l’apocalypse, même s’il s’agit bel et bien de la fin d’un monde, celui qui depuis presque 500 ans a été modelé par l’Occident. Ce que nous voyons – et craignons –, c’est la fin de la Fin de l’histoire.


Lauschtert och dem Vincent Artuso säi Feuilleton op Radio 100,7, all Donneschdeg um 9.40 Auer (Rediffusioun 19.20) oder am Audioarchiv op www.100komma7.lu.