Société„On criminalise la pauvreté“: Jean-Pierre Tabin au sujet de la lutte contre la mendicité

Société / „On criminalise la pauvreté“: Jean-Pierre Tabin au sujet de la lutte contre la mendicité
„A qui appartient l’espace public? S’il est public, vous et moi, mais aussi les mendiants et les commerçants peuvent y aller. Ou alors, on est dans un pays où l’espace public est réservé aux censitaires, à ceux qui ont un certain revenu“, observe Jean-Pierre Tabin

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Professeur à la Haute école spécialisée de Suisse occidentale, le sociologue Jean-Pierre Tabin souligne que les réseaux criminels liés à la mendicité n’existent pas.

Tageblatt: N’est-il pas contradictoire que dans le pays le plus riche au monde et une des villes où les gens sont le plus satisfaits de leur sort, la pauvreté devienne insupportable à la majorité au pouvoir et ses électeurs?

Jean-Pierre Tabin: Question difficile. On observe ce type de mouvements dans de nombreux pays aussi bien riches que pauvres – en Belgique, au Canada, dans certains Etats des Etats-Unis, en Allemagne, en Finlande, mais aussi dans des pays du Maghreb – qui visent à restreindre, interdire, contrôler la mendicité. Il n’y a surtout rien de nouveau sous le soleil. Interdire la mendicité ne résout en rien la question des inégalités sociales et de la pauvreté. En fait, on veut interdire aux gens d’être pauvres. On criminalise la pauvreté. Car si l’arrêté de la ville de Luxembourg entre en vigueur, cela signifie que des gens, parce qu’ils sont pauvres, qu’ils manifestent qu’ils sont pauvres, en demandant l’aumône, deviendront des criminels. Ce processus qui fait passer de pauvre à criminel me semble le plus intéressant. Avec l’idée sous-jacente qu’il existe des bons pauvres et des mauvais pauvres.  

On invoque les réseaux criminels pour pouvoir classer les Rroms parmi les mauvais pauvres. Or, vous écrivez dans votre enquête que si réseau il y a, il est social et non criminel …

Il n’y a pas de réseau. Ça ne veut pas dire que tous les mendiants sont des enfants de chœur, qu’il n’y en a pas qui font de la petite criminalité. Par contre, il y a des regroupements familiaux, des solidarités familiales. On ne peut pas s’enrichir avec la mendicité. On ne gagne pas du tout assez pour que ce soit intéressant de les exploiter. Ils gagnent trois fois rien. Toutes les enquêtes le disent. Ce n’est pas lucratif de mendier, donc a priori ce n’est pas lucratif d’exploiter une telle activité. Par contre, il y a sans aucun doute des cas particuliers où des enfants sont envoyés mendier. Mais on n’est face ni à une mafia, ni à un réseau, ni au crime organisé. 

Si on veut parler de réseau organisé, il faut chercher du côté des banques et des entreprises

Jean-Pierre Tabin, sociologue

Pourquoi malgré tout l’idée du réseau perdure-t-elle, comme dans ce communiqué de l’extrême gauche à Luxembourg qui dit „ne pas vouloir nier qu’il existe certains réseaux“? 

On n’approche pas la question de la bonne manière. On l’aborde sous l’angle répressif. On sait pourtant que les populations rroms sont celles qui subissent le plus de racisme. Elles sont présentées comme des ennemis de l’intérieur, comme venant d’Inde, ce qui est complètement absurde puisqu’il y a des populations qui viennent de Roumanie, de Bulgarie, de France, d’Espagne, de Turquie. Mais si l’extrême gauche tient tout de même parler de réseau, il y en a, c’est par exemple le transfert international d’argent qui passe par des réseaux bancaires qui se font de l’argent sur des sommes misérables que les gens envoient à leur famille. Il y a les lignes de bus qui transportent les gens. Si on veut parler de réseau organisé, il faut chercher du côté des banques et des entreprises.

La justice luxembourgeoise a estimé qu’insulter les Rroms de „dégueulasses“ et de „racaille“, comme l’a fait un avocat, étaient des propos dégradants, mais ne constituaient pas une incitation à la haine comme espérait le faire reconnaître la Ligue luxembourgeoise des droits de l’homme. Quel rôle joue la justice dans ce dossier?

Je tiens d’abord à faire remarquer que les Rroms sont un groupe qui n’existe pas. C’est une invention des années 80. Il n’y a pas de pays, pas de langue, pas de religion rrom. Ce qui en fait un groupe, c’est la manière dont on les regarde. C’est le raciste qui a créé le groupe racisé.

Le rôle de la justice est compliqué. On a eu cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme qui a banni l’interdiction générale de la mendicité. Mais en même temps, la justice peut changer. En Suisse, les juges au plan fédéral sont élus par des partis, donc les juges qui représentent l’extrême droite tournent la justice dans ce sens. On parle de neutralité de la justice, mais on a vu pareil développement aux Etats-unis avec la Cour suprême. Le rôle des juges est très variable.

Le bannissement de l’interdiction de la mendicité est plutôt une bonne chose. Mais ce n’est pas encore le droit de mendier. Et cela pose la question à qui appartient l’espace public. Ce qui se passe au Luxembourg me semble du même ordre que ce qui se passe ailleurs. Ce sont les commerçants qui ont peur. Mais est-ce que l’espace public est l’espace du commerce? Cela pose une question fondamentale: A qui appartient l’espace public? Si c’est un espace commercial, d’accord. Mais les commerçants ne sont pas propriétaires de l’espace public. 

Je suis à Cape Town depuis quelques mois, des mendiants, il y en a des centaines, des milliers ici. Les gens vivent avec cette réalité. On voit bien que les gens ont faim, qu’ils font les poubelles. Ici, ce ne serait pas possible de l’interdire. Il faudrait plutôt inventer des politiques positives par rapport à la mendicité, que ce soit des politiques de logement d’abord, parce que c’est un des problèmes principaux. On a vu des politiques du logement en Finlande permettant aux gens de sortir de la mendicité. Quand on interroge les mendiants, ce n’est pas un job drôle. On est dehors sous les intempéries, on est ignorés par la plupart des gens. C’est un métier très difficile. D’ailleurs, les enquêtes de santé faites en Suisse montrent que ces personnes sont plus souvent malades, meurent plus vite. Si c’était enviable, pourquoi on ne le ferait pas nous-mêmes?

On va dépenser des forces de police pour interpeler des gens qui ne font rien d’autre que dire qu’ils sont pauvres et demandent de l’aide. On va dépenser des forces de juge pour les juger, des forces d’administration pour faire tout cela. On ferait mieux de donner cet argent aux pauvres.

Jean-Pierre Tabin, sociologue

Quels effets l’interdiction dans le canton de Vaud a-t-elle eu sur la mendicité?

Il y a eu des répressions, des amendes. En Suisse, quelqu’un arrêté pour mendicité va être condamné à une amende. S’il ne peut pas la payer, il va être poursuivi, s’il ne peut toujours pas payer, il sera condamné à des jours de prison et après, il devient un étranger criminel qui peut être renvoyé de Suisse. On a toute cette logique qui existe aussi dans l’UE. Cette criminalisation n’est pas anodine. Des étrangers deviennent criminels et ressortent comme tels dans les statistiques, car ils ne respectent pas l’interdiction de la mendicité. 

Dès lors qu’il y a eu l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, qui concernait Genève, le canton de Vaud a suspendu l’application de sa loi. Avant, les mendiants n’étaient pas partis, mais ils étaient moins nombreux, car ils s’étaient déplacés. Maintenant, ils sont revenus et le Parlement du canton de Vaux est en train de mettre au point une nouvelle loi qui ressemble au projet luxembourgeois. Ils sont en train d’en débattre, mais, étant donné la composition du gouvernement, je n’ai aucune illusion sur ce qui va arriver. On va dépenser des forces de police pour interpeler des gens qui ne font rien d’autre que dire qu’ils sont pauvres et demander de l’aide. On va dépenser des forces de juge pour les juger, des forces d’administration pour gérer tout cela. On ferait mieux de donner cet argent aux pauvres. 

Pensez-vous que la Cour européenne des droits de l’homme pourrait condamner l’interdiction luxembourgeoise comme elle l’a fait avec l’interdiction visant le canton de Vaud ?

Je sais que dès que la nouvelle loi dans le canton de Vaud va être votée, il y aura recours. Après, on verra. Ce n’est plus de ma compétence. On dit toujours que les gens sont exaspérés, ont peur, mais il y a aussi des quantités de citoyens qui sont outrés, qui aident les gens. On voit d’ailleurs très bien cela ici au Cap. Il y a plein de choses qui se passent, beaucoup d’actes de compassion ou de révolte. On présente toujours le citoyen exaspéré. Ce n’est pas du tout la seule figure possible. Il y a beaucoup de solidarité dans la société. Il y a des gens qui n’en peuvent plus qu’on ne fasse rien pour aider les mendiants. 

 Photo: Editpress/Didier Sylvestre

Quels effets une telle interdiction a-t-elle sur nos représentations? 

On désigne les mendiants comme illégitimes à demander de l’aide, on prétend qu’il ne faut pas les croire. Cela nourrit des stéréotypes sur le fait que la pauvreté est illégitime dans les villes, qu’elle est le fait des étrangers et que grosso modo, elle n’a pas de place chez nous. C’est un peu la forteresse Europe. 

Or, considérons la Bulgarie ou la Roumanie: ce sont des pays qui, depuis la chute du régime communiste, ont complètement libéralisé leur économie et démantelé toute une série de protections sociales et dans lesquels les pays d’Europe occidentale ont délocalisé leurs productions. Il y a par exemple des grandes fermes de cochons, nécessitant peu de main d’œuvre, qui pollue par ailleurs, mais qui ont enlevé des emplois à de nombreuses personnes, dans le seul but de vendre de la viande de porc à bon marché. Ce n’est pas comme si on était irresponsables dans la situation économique qui produit ces migrations de personnes de Roumanie, de Bulgarie.

J’aimerais bien que des économistes comme les économistes atterrés se concentrent plus sur ces conséquences, montrent les répercussions de nos modes de consommation sur les situations économiques de pays qui sont les émetteurs de personnes qui n’ont plus de quoi vivre, dont le métier n’est pas la mendicité, qui ne sont pas des nomades. Ils vont chercher ce qu’ils peuvent. 

Vous parliez de contrainte par corps, de mendiants qui finissent en prison parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer, c’est le retour des dépôts de mendicité du XIXe siècle?

Oui mais sous une autre forme, parce que c’est tout un processus, on verbalise une personne qui ne réussit à payer. Cela devient un criminel qu’on peut arrêter et condamner à des peines privatives de liberté. Il y a d’autres manœuvres similaires qu’on met en place comme à San Francisco où la mendicité n’est pas interdite, mais où on a supprimé toutes les toilettes du centre. Ce n’est pas interdit de mendier, mais c’est interdit d’uriner en public. On a aussi tout ce développement des mobiliers anti-pauvres. En Suisse, à Lausanne, on a une interdiction du camping sauvage. Donc si vous dormez dans la rue, vous êtes un criminel.

Cela pose un problème général, pas seulement pour les populations visées. Ce qu’il faut bien voir, c’est que ce sont des lois liberticides sur l’usage de l’espace public. Dès lors qu’on restreint la liberté d’un groupe, on restreint la liberté de tout le monde. Et on pose la question: à qui appartient l’espace public? S’il est public, vous et moi, mais aussi les mendiants et les commerçants peuvent y aller. Ou alors, on est dans un pays où l’espace public est réservé aux censitaires, à ceux qui ont un certain revenu. 

viviane
28. März 2023 - 13.17

Wann ee mat Zäiten op ass, da gesäit ee wéi d'Heescherte vun hirem Patron virum Aldi ofgeliwwert gëtt ier hien an de Basic-Fit trainéiere geet.

Nomi
27. März 2023 - 14.43

Encore un de ces experts étrangers qui la rapporte au sujet de la société Luxembourgeoise !