L’histoire du temps présentOn rejoue 2003

L’histoire du temps présent / On rejoue 2003
 Photo: AFP

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En mars 2003, les forces d’une coalition menée par les Etats-Unis envahissaient l’Irak en violation du droit international. 20 ans plus tard, l’onde de choc provoquée par cette guerre est encore ressentie. Elle a même un impact crucial sur celle qui fait actuellement rage en Ukraine. A bien des égards, cette dernière à des airs de match retour.

Le 5 février 2003, Colin Powell, le secrétaire d’Etat américain s’adressait au Conseil de sécurité de l’ONU. Dans une ambiance plombée par la menace d’une nouvelle guerre dans le Golfe persique, il affirma que les services de renseignement de son pays avaient réuni des preuves irréfutables, montrant que l’Irak se dotait secrètement et illicitement d’un arsenal d’armes de destruction massive.

Mais ni le rapport qu’il présenta – dont il s’avéra ultérieurement qu’il était basé sur les déclarations fallacieuses d’un informateur peu fiable –, ni la capsule d’anthrax qu’il exhiba – dont certains prétendirent qu’elle contenait en fait de l’urine – ne suffirent à convaincre les membres du Conseil de sécurité de voter pour une intervention militaire contre l’Irak. Trois de ses membres permanents, la Russie, la Chine, mais aussi la France, menacèrent même d’utiliser leur droit de veto.

Les Etats-Unis décidèrent finalement d’intervenir sans l’aval du Conseil de sécurité, en violation de la charte des Nations unies. Déjà stationnées dans le Golfe, leurs forces et celles de leurs alliés lancèrent l’assaut le 20 mars 2003.

Consolider l’ordre mondial par la force

Pourquoi les Américains tenaient-ils tant à intervenir en Irak, quitte à se mettre en infraction avec le droit international? Leur président de l’époque, le républicain George W. Bush, mettait donc en avant la nécessité de mettre fin aux programmes d’armement chimique, bactériologique et nucléaire qu’il accusait ce pays de mener. Après tout, faisait-il valoir, le dictateur irakien, Saddam Hussein, était un homme brutal qui avait déjà prouvé par le passé qu’il n’avait aucun scrupule à employer ce type d’armes, y compris contre sa propre population.

Bush prétendait aussi que Saddam avait apporté son appui aux terroristes islamistes qui avaient commis les attentats du 11 septembre 2001. Ce second prétexte était fondé sur des bases tout aussi fragiles que le premier. En réalité, l’administration Bush, dominée par des néo-conservateurs comme le vice-président Dick Cheney, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et l’adjoint de ce dernier, Paul Wolfowitz poursuivait un objectif plus ambitieux.

L’invasion de l’Irak devait permettre aux Etats-Unis d’étendre et de consolider l’ordre mondial mis en place depuis 1945, en musclant leur présence militaire dans le Golfe, en ouvrant les gigantesques réserves de pétrole irakien aux entreprises occidentales et en instaurant à Bagdad un régime démocratique qui devait servir de modèle aux sociétés soumises à des pouvoirs autoritaires, dans la région et au-delà.

La mise en cause du leadership américain

Pour arriver à ses fins, l’administration Bush pensait pouvoir tabler sur cette union sacrée mondiale qui s’était faite autour de Washington, au lendemain du 11 septembre 2001. Elle dut vite déchanter. La Chine et la Russie, dont Vladimir Poutine était déjà le président, dénoncèrent bientôt ses plans, officiellement au nom du respect du droit international et du multilatéralisme, officieusement parce qu’elles voyaient dans la destitution d’un dictateur par la force un dangereux précédent. Si l’opposition de ces deux pays était fâcheuse, elle n’était pas étonnante.

Celle de deux proches alliés, la France et l’Allemagne, fut en revanche perçue comme une trahison par l’administration Bush. Non seulement parce qu’elle créait une fissure dans le bloc occidental, mais aussi parce qu’elle mettait en cause le leadership américain. Elle faisait même planer le spectre de la formation d’un grand bloc eurasiatique, potentiellement tenté de refouler les Etats-Unis hors du vieux monde.

Cette perspective était certes lointaine, le président français Jacques Chirac et le chancelier allemand Gerhard Schröder avaient cependant bel et bien à cœur de faire valoir une vision européenne autonome. Contrairement aux néo-conservateurs américains, ils ne pensaient pas que la démocratie pouvait être imposée par la force. Ils estimaient au contraire qu’une intervention armée en Irak n’aurait pour résultat que de plonger ce pays et l’ensemble du Moyen-Orient dans le chaos, d’approfondir la haine contre l’Occident et d’attiser le terrorisme islamiste.

Fracture de l’Occident et isolationnisme américain

Vilipendés par Rumsfeld en tant que représentants d’une „Vielle Europe“ iréniste, pusillanime et sortie de l’histoire, Paris et Berlin furent un temps mis au ban du camp occidental. Et même si leurs critiques furent validées par les événements, le fossé qu’elles avaient ouvert en 2003 resta béant. Elles aboutirent à une remise en question de la globalisation dans le pays qui l’avait promue. Beaucoup d’Américains finirent par estimer que le monde avait plus besoin d’eux qu’eux n’avaient besoin de lui.

Si Donald Trump a popularisé le slogan „America first“, les politiques qu’il implique – isolationnistes sur le plan international, protectionnistes sur le plan international – ont commencé à être mises en œuvre sous la présidence de Barack Obama et continuent de l’être sous celle de Joe Biden. Elles ont permis aux Etats-Unis de devenir les premiers producteurs de pétrole et de gaz naturel au monde et de se désengager de cet Orient compliqué, où ils n’ont pris que des coups.

Dans la même période, la „Vieille Europe“, Allemagne en tête, s’est au contraire rendue de plus en plus dépendante du gaz russe, à la fois par calcul économique, mais aussi dans l’espoir que des relations commerciales étroites arrimeraient durablement la Russie à l’Europe, l’amenant ainsi à abandonner toute velléité impérialiste et à se transformer en démocratie à l’occidentale. Cette approche a davantage encore creusé le fossé avec les Etats-Unis, mais aussi avec les pays de la „Nouvelle Europe“, Pologne et pays baltes en particulier. Il n’a nulle part été aussi profond et visible qu’en Ukraine.

La revanche de 2003

Depuis le début l’ombre de la guerre en Irak plane sur le conflit en Ukraine. En 2014, lorsque la Russie de Poutine s’est emparée de la Crimée avant d’enflammer le Donbass, le souvenir de cette intervention ratée ainsi que le fossé qu’elle avait creusé entre eux, a empêché les Occidentaux d’agir de manière forte et concertée. Et lorsqu’à partir de janvier 2022, les services de renseignement américains se sont mis à annoncer que l’armée russe était sur le point d’attaquer l’Ukraine, ces mises en garde ont été accueillies avec scepticisme – y compris à Kyïv. Tout le monde avait encore les fausses armes de destruction massives iraquiennes en mémoire.

Une fois l’invasion lancée, les commentateurs des médias officiels russes ont pris un malin plaisir à rappeler que leur pays ne faisait rien que les Etats-Unis n’avaient déjà fait et que leurs condamnations n’étaient que pure hypocrisie occidentale. Pourtant, peu à peu, c’est bien aux Américains que l’évolution des événements semble avoir donné raison.

Les gouvernements français et allemand ont été pris complètement au dépourvu par le déclenchement d’une guerre qui a démenti toutes leurs certitudes. Les Allemands ont par ailleurs payé cher leur dépendance au gaz russe, dont ils ont dû se défaire quasiment du jour au lendemain – notamment au profit de gaz liquéfié américain. Si l’Occident semble aujourd’hui uni face à la Russie, c’est parce que le leadership des Etats-Unis a été entièrement restauré. Pour les deux, la situation de mars 2023 a des airs de revanche sur celle de mars 2003.