FrancePerçu comme un aveu de faiblesse, le recours au 49.3 sème le trouble et dope les oppositions

France / Perçu comme un aveu de faiblesse, le recours au 49.3 sème le trouble et dope les oppositions
Les manifestations contre la réforme des retraites continuent Photo: Bertrand Guay/AFP

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L’annonce par le gouvernement de son choix de recourir à l’article 49.3 pour faire passer son projet de réforme des retraites, plutôt que de la faire voter normalement par l’Assemblée nationale (le Sénat s’étant déjà prononcé pour), a été perçue comme un coup de tonnerre, pour ne pas dire un coup de force même si le procédé n’a rien d’anticonstitutionnel, ni même de nouveau (voir Tageblatt d’hier). En cause: l’opposition suscitée par ce texte, unanime chez les syndicats, et très majoritaire dans l’opinion.

Une véhémente „bronca“ dans l’hémicycle, une manifestation non moins houleuse – et, pour le coup, spontanée – place de la Concorde à Paris, pratiquement devant l’Assemblée nationale, et d’autres hier dans de nombreuses villes de l’Hexagone, plus une pluie de commentaires des plus sévères dans la classe politique et médiatique et d’appels à de nouvelles grèves pour la semaine prochaine, sans parler de certains appels explicites à la violence: si l’exécutif, à commencer par son chef de l’Élysée, tenait à marquer avec éclat son refus de soumettre son texte au vote des députés, il aura été servi.

Sans doute ne s’attendait-il pas à le faire passer en douceur auprès des Français, ni de leurs représentants politiques et syndicaux. Mais dans les circonstances actuelles, son attitude est évidemment perçue, bien davantage comme un aveu de faiblesse que comme un étalage de puissance. Et c’est d’ailleurs bien pour tenter de mettre à profit cette faiblesse que trois projets de motion de censure – là aussi, il s’agit de la suite non obligatoire, mais logique d’un recours au 49.3 – ont immédiatement été évoqués: l’un venu de l’extrême droite lepéniste, l’autre de l’extrême gauche mélenchoniste et de ses alliés de la NUPES, le troisième du petit groupe LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires), rassemblant par commodité technique une vingtaine d’élus d’origines diverses.

C’est finalement à ce dernier texte qu’ont annoncé se rallier les groupes de gauche et d’extrême droite, considérant non sans raison que par son origine relativement multiple et vague, il serait bien mieux à même de recueillir la majorité requise pour l’emporter, et donc renverser le gouvernement, soit actuellement 287 voix, que des motions très connotées politiquement. Ce qui, certes, ne l’assure aucunement du succès: les deux grands groupes d’opposition plus celui des auteurs de la motion totalisent 257 sièges, ce qui signifie qu’il faudrait, pour le faire passer, qu’une moitié des 61 élus LR et apparentés y joignent leurs suffrages.

„Cherche députés LR“…

Sans être impossible, cette ambition passait encore, hier dans les couloirs du Palais-Bourbon, pour difficile à réaliser. Le suspense parlementaire consistant maintenant de tenter d’évaluer le nombre des députés Républicains susceptibles de franchir le pas, autrement dit de passer de leur grogne actuelle contre le gouvernement en général, et sa réforme des retraites en particulier, à un vote d’hostilité radicale. Et le vice-président RN de l’Assemblée, Sébastien Chenu, s’est amusé à poser sur un site bien connu de petites annonces par Internet une demande ainsi rédigée: „Cherche 27 députés LR pour voter une motion de censure“…

Mais que la motion de censure passe – avec sa double conséquence en forme de cataclysme: le gouvernement renversé, et la réforme des retraites abandonnée – ou qu’elle ne passe pas, d’une certaine façon le mal est fait pour Emmanuel Macron, même s’il est évidemment plus grave dans le premier cas, où le chef de l’Etat devrait, en plus de tout le reste et dans un climat d’échec particulièrement sombre, nommer un premier ministre et un nouveau gouvernement, que dans le second.

Car la preuve est désormais faite qu’il ne peut pas se passer durablement de majorité parlementaire, surtout s’il ambitionne de lancer d’autres réformes; et donc, même s’il ne le souhaite évidemment pas, d’autres controverses. En particulier, l’appoint des Républicains, sur lequel il comptait cette fois-ci, et qui a d’ailleurs bien fonctionné au Sénat, s’est révélé trop aléatoire à l’Assemblée nationale: selon les propres pointages de Mme Borne, il allait manquer deux voix au texte sur les retraites pour passer avant-hier. C’est peu, mais cela suffisait à changer la victoire, si étriquée fût-elle, en défaite forcément spectaculaire.

L’exemple des Gilets jaunes

Pour autant, l’hypothèse d’une dissolution de l’Assemblée ne semble guère offrir au chef de l’État une possible „sortie par le haut“, comme on dit: sans se risquer à de trop précis (et donc imprudents) pronostics, on peut prédire que, surtout après cette affaire des retraites, si mal menée du début à la fin, le camp présidentiel en sortirait encore bien plus malmené qu’au printemps dernier. De sorte que même si son gouvernement survit à la motion de censure, l’action du locataire de l’Élysée risque d’être perpétuellement entravée, pour les quelque quatre ans de mandat qui lui restent à accomplir, par les conséquences de sa position minoritaire au Palais-Bourbon, cruellement soulignée à l’occasion de ce recours au 49.3.

Et pour faire bonne mesure, une telle démarche semble avoir ragaillardi une opposition politique et surtout syndicale qui, de manière bien compréhensible, commençait à s’essouffler un peu après deux bons mois de grèves et de manifestations. On devrait voir dès les tout prochains jours ce qu’il en est réellement sur le terrain, dans les rues comme dans les entreprises; mais ce qui est d’ores et déjà certain, c’est que la stratégie parlementaire (ou faut-il dire: antiparlementaire?) choisie par le pouvoir n’est vraiment pas de nature à calmer le jeu, ni à favoriser les projets ultérieurs de M. Macron.

Un éventuel échec de la motion de censure (le vote devrait normalement avoir lieu lundi à 16 heures) pourrait bien donner encore plus de poids à un tel raisonnement, au moment où se répand l’idée que décidément, en France, seuls le désordre et la violence paient. „Voyez les Gilets jaunes: en bloquant les carrefours et en cassant tout sur les Champs-Elysées, ont gagné treize milliards d’euros!“, entend-on dire de plus en plus souvent. Sans en arriver là, beaucoup de Français de différents bords semblent en tout cas estimer que la météo politique est actuellement bien maussade.