Passion livresEn voiture, Simon(e)!

Passion livres / En voiture, Simon(e)!
Christine Montalbetti Photo: Hélène Bamberger

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Avec „Le Relais des Amis“, Christine Montalbetti signe – chez P.O.L – un très beau roman vagabond, en forme de métaphore de la lecture comme voyage-découverte. Une métaphore, c’est-à-dire une compagnie de transport, un moyen de se déplacer en temps record d’un point A vers un point B, de circuler librement entre, disons, Paris et Tokyo, ou alors entre Portland et Takayama, ou encore entre le Colorado et la vallée du Douro.

Simon, qui a loué une maison pour écrire, alors qu’il est en panne d’inspiration, ne fait guère autre chose. Tout en guettant la „bonne petite phrase“ qui donnerait envie d’entrer dans l’histoire, il se rend au Relais des Amis, ce café au décor vieillot d’une station balnéaire de la côte normande dont le nom renvoie au principe même du roman de Christine Montalbetti : passer le bâton du relais pour aller joyeusement et sans accrocs d’un personnage à l’autre.

L’auteure de „Love Hotel“ (2013) et de „Mon ancêtre Poisson“ (2019) manie à merveille toutes ces petites choses qui permettent d’activer la zone du cerveau „où dort la possibilité d’un récit“. Tandis que le jeune homme commande un café au comptoir et observe le va-et-vient des clients, Gégé le patron fait du charme à la jolie Tatiana qui s’est vu proposer un boulot de serveuse lorsque l’usine de sucre a fermé. Mais il est déjà l’heure de suivre le maçon Frédo qui, ayant vidé son verre de blanc, sort du Relais avec son apprenti Mathieu, dont la camionnette est garée devant l’agence immobilière où l’on aperçoit Lorette en train de proposer un appartement avec „un beau potentiel“ à son client Bastien qui, après la visite, s’en va poser une question à un chauffeur de taxi qui emmène à la gare un couple d’Anglais, Eva et Greg. Ce sera l’occasion de prendre avec eux le train pour Paris, dans lequel montera Lila, que l’on suivra jusqu’à son appartement où elle retrouvera son amoureux Dylan, mais aussi une mouche qu’elle chassera par la fenêtre et qui se réfugiera chez un voisin pianiste …

En voiture ou en train, le travelling se poursuit, les décors défilent comme un diaporama, ou comme ces images qui se succèdent sur l’écran du téléphone portable de Lila, „lequel offre, il faut bien dire, tellement de possibilités, et lui permet, par sa mini-fenêtre, d’entrer dans toutes sortes de mondes“. Ainsi, lorsqu’on a fini de regarder passer les bateaux sur le fleuve Douro avec Manoel et de promener son chien autour d’un lac du Colorado avec Warren et Marie, on pourra toujours tenter sa chance en jouant au pachinko avec Yoshiro, avant d’errer au hasard dans les rues de Kyoto avec Natsuo et tous ces „évaporés“ qui, au Japon, disparaissent d’un coup et s’en vont vivre ailleurs, sous une autre identité.

Ce petit tour du monde est en même temps un condensé de l’univers imaginaire de Christine Montalbetti, qui en a profité pour glisser quelques personnages de ses précédents romans, mais aussi quelques amis véritables – une manière de leur rendre hommage et de créer, entre eux et le lecteur, „une petite bulle de familiarité supplémentaire“. D’ailleurs, toutes ces histoires, tous ces lieux défilant à une vitesse qui donne une légèreté inouïe sont des ébauches des romans à venir ou des rappels de récits qu’on a déjà lus, chez Christine Montalbetti ou ailleurs, des répliques du jardin borgésien aux sentiers qui bifurquent ou de la machine à explorer le temps de H.G. Wells.

À chaque fois, deux solutions s’offrent au conteur – suivre un personnage ou rester avec les autres, tout en sachant que le monde entier est „un réseau inextricable de possibles qui font autour de nous leur sarabande, et que nous assassinons finalement sans vergogne chaque fois que nous faisons un choix“. Quoi qu’il en soit, en dévidant le fil de sa bobine romanesque, Christine Montalbetti n’oublie pas d’interpeller le lecteur, de l’inviter à prendre sa part de responsabilité et de jouer le jeu : „Am stam gram, est-ce qu’on reste avec Yasu ou est-ce qu’on suit ce jeune homme, pic et pic et colégram, votre doigt sautille de l’un à l’autre, vite, bour et bour et ratatam…“.

Christine Montalbetti<br />
Le Relais des Amis<br />
P.O.L., 2023<br />
144 p., 17 euros
Christine Montalbetti
Le Relais des Amis
P.O.L., 2023
144 p., 17 euros

Quel que soit le relais choisi – une visioconférence ou un trajet en taxi, une mouche rentrée par la fenêtre, un mégot dégringolant dans un caniveau ou un galet ricochant à la surface de l’eau –, on finit toujours par débarquer dans l’intimité des personnages comme sur une toile d’Edward Hopper : „On est chez eux (tâchons de nous faire tout petits), et ça chavire un peu, on pense aux couples qui commencent, qui inaugurent, y croient et puis se défont, on pense au premier petit couple qu’on a formé, à comme la roue tourne, à la ronde que c’est, au chagrin et à la rebelote.“

Pouvait-on imaginer meilleure façon de fêter les 40 ans des éditions P.O.L, meilleure illustration du principe énoncé par Paul Otchakovsky-Laurens („La littérature, pour mettre du désordre là où l’ordre s’installe“), qu’à travers ce „Relais des Amis“ imaginé par Christine Montalbetti au printemps 2020, durant un confinement qui semblait interminable et rendait tout voyage lointain ou illusoire: „Oh, l’espace préservé que c’est, un livre, dans lequel on peut évoluer à notre aise, sans masque ni gel, juste à y barboter gaiement, impunis et libres, tout en nous souvenant de nos heures, de nos joies et de nos peines, de ce qui nous constitue, de ce à quoi on tient, les sensations du monde“?

Corina Ciocârlie