L’Histoire du temps présentLe second front

L’Histoire du temps présent / Le second front
Campagne d’Afrique du Nord. Un obus ennemi atterrit près d'un canon pendant l’un des duels d’artillerie à longue distance qui font partie intégrante de la guerre dans le désert. Photo: National Museum of the U.S. Navy

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Il y a exactement 80 ans, Américains et Britanniques débarquaient en Afrique du Nord. Les Allemands, déjà cloués sur place dans un Stalingrad en ruines par l’Armée rouge, devaient dorénavant faire face à un second front. Ces événements intervenaient au moment même où les premiers Luxembourgeois enrôlés de force dans la Wehrmacht recevaient leurs ordres de mobilisation.

Le 8 novembre 1942, un peu plus de 100.000 Britanniques et Américains débarquaient sur les côtes du Maroc et de l’Algérie, deux pays qui étaient alors sous domination coloniale française. Cet événement était un tournant à plus d’un titre. Il marquait d’abord l’arrivée des troupes américaines sur le théâtre d’opération méditerranéen, et ce, à peine cinq jours après la victoire britannique sur l’Afrikakorps, durant la seconde bataille d’El-Alamein. Un deuxième front était désormais ouvert contre l’Allemagne nazie, alors même que, sur celui de l’Est, celle-ci tentait désespérément de faire sauter le verrou de Stalingrad.

Ce débarquement provoqua aussi le basculement de l’empire colonial français, de ses matières premières, de son réservoir de combattants et de ses armées encore intactes, dans le camp allié. Certaines des unités fidèles au régime de Vichy avaient tenté de rejeter les envahisseurs à la mer avant de se rallier à eux. Ce choix avait été facilité par la réaction des Allemands qui, dès le 11 novembre, avaient franchi la ligne de démarcation et occupé la Zone sud, dite libre jusque-là. Paradoxalement, c’est précisément au moment où celle-ci était à son tour occupée, que le nombre de Luxembourgeois cherchant à fuir le régime nazi allait y exploser.

Une population sonnée

Au Luxembourg occupé, l’attitude de la population avait commencé à changer depuis quelques semaines. Les rapports qu’Artur S., un Luxembourgeois pro-allemand qui occupait une fonction importante au sein de la Volksdeutsche Bewegung (VdB) de Wiltz, l’illustrent amplement. Après la répression des grèves d’août-septembre, particulièrement brutale dans leur ville, qui avait été l’un des épicentres du mouvement, les Wiltzois, sonnés, étaient rentrés dans le rang – extérieurement du moins. Artur S., narquois et revanchard, s’en était réjoui. Dans son rapport du 16 septembre, il écrivait ainsi: „Am Sonntag, den 13. September 1942 fanden hier in Wilz und in Winseler öffentliche Versammlungen statt. Beide Versammlungen waren sehr gut besucht, obschon bewusst hier die Propaganda nur durch die Plakate und durch Ausschellen gemacht wurde. Die Versammlung hier in Wilz zählte über 900 Personen. Bei den letzten Versammlungen hier in Wilz, die aber vor dem 31. August stattfanden, und wo die Propaganda alles nur mögliche versuchte, waren kaum die Hälfte anwesend. Auffallend bei dieser letzten Versammlung war, dass alle Anwesenden, namentlich aber die Beamten und höhere Angestellten, versuchten vor der Versammlung sich dem Ortsgruppenleiter bemerkbar zu machen, und somit in Zeugnis zu haben, dass auch sie der Versammlung beiwohnen würden.“1)

Dès le début du mois d’octobre, Artur S. notait toutefois un changement d’atmosphère. Il faut dire qu’à ce moment-là, les premiers enrôlés luxembourgeois commençaient à recevoir leurs ordres de mobilisation: „Die Einberufung der Wehrpflichtigen aus den Jahrgängen 1920-1924 hat die Stimmung verschlechtert. Die Bevölkerung zeigt eine sture Haltung und äussert sich in unsinnigsten Gerüchten. So erzählt man sich, dass die amerikanischen Truppen die zweite Front am 27. Oktober errichten werden. Falls sie jedoch bis zu diesem Tage nicht angegriffen hätten, dann würde die Grossoffensive auf 1943 vertagt werden. Man weiss weiter zu erzählen, dass eine Einberufung von neuen Jahrgängen erfolgen wird und zwar wollen die einen von 1919-1914, die andern bis 1905, die andern bis 1900 und sogar welche 1897 wissen.“2)

Le réveil du mécontentement

Deux semaines, plus tard, Artur S. n’arrivait plus à cerner ses concitoyens: „Die Stimmung in der Ortsgruppe ist nicht festzustellen. Während die Volksgenossen gegenüber Politischen Leitern und Amtsträger der VdB immer mit dem deutsche Grusse antworten, so kann jedoch festgestellt werden, dass wenn diese Elemente sich allein wissen, doch eine ganz andere Sprache sprechen. So konnte man nun auch bei dem für Samstag, den 17. Oktober einberufenen Kameradschaftsabend der Wehrpflichtigen feststellen, dass von 42 eingeladenen jungen Luxemburger Rekruten nur zwei erschienen waren. Die Abfahrt der Wiltzer Soldaten verlief ruhig, jedoch wurde viel geweint. Feindliche Äusserungen wurden keine vernommen. Was den Kameradschaftsabend anbetrifft, so wäre es angebracht gewesen, um einen grösseren durchschlagenden Erfolg zu haben, diesen Kameradschaftsabend schon einige Tage vorher zu organisieren. Es hiess allgemein und wurde dieser Standpunkt auch überall vertreten, dass der letzte Abend der jungen Soldaten in ihrem Elternhaus sein müsste, und nicht im Wirtshause. Es war offen gestanden eine Schlappe für die Ortsgruppe.“3)

Après la victoire britannique à El-Alamein, l’attitude générale redevint de plus en plus ouvertement hostile au régime nazi: „Die Stimmung wird von Tag zu Tag schlechter. Das Grüssen mit Heil Hitler nimmt wieder merklich ab. Die ägyptische Front spukt viel in den Köpfen der Leute. Die zweite Front soll damit eröffnet worden sein. Die Engländer bezw. aber die Amerikaner würden dort über gewaltige Truppenkontingente verfügen, die es fertig bringen, die Deutschen und die Italiener aus Afrika herauszuschlagen. Die Schlacht in Afrika wird eine gewaltige Entscheidung in diesem Kriege bringen. […] Man spricht hier in der Ortschaft viel, dass die Arbeitsdienstmänner sowie auch die neuen Rekruten von hierher grossen Mangel an Lebensmitteln leiden würden. Es würde sich hier speziell um diese Arbeitsdienstmänner bezw. Soldaten die in den östlichen Gebieten ausgebildet werden, handeln.“4)

Eviter une mort aussi absurde qu’insupportable

Le débarquement allié en Afrique du Nord avait donc ouvert ce second front auquel beaucoup rêvaient. Mais ce rêve avait aussi un revers cauchemardesque. Si, comme pendant la Première Guerre mondiale, l’Allemagne était prise en tenaille et, lentement mais sûrement, obligée de plier, les enrôlés de force n’étaient-ils pas en train de partir se faire tuer par ceux dont ils attendaient d’être libérés? Cette idée était aussi absurde qu’insupportable.

Les mouvements de résistance, qui jusque-là avaient surtout pratiqué la contre-propagande, commencèrent donc à construire l’infrastructure qui allait permettre des désertions en masse. Certains avaient déjà pris les devants. A Differdange, un réseau de passeurs autour du clerc de notaire Josy Goerres, de son ami Emile Krieps et du menuisier Albert Ungeheuer avait commencé à mettre en place une filière d’évasion dès le printemps 1941, lorsque les Allemands avaient rendu le Reichsarbeitsdienst (RAD) obligatoire.

Ce réseau faisait passer les candidats à l’évasion en France puis, une fois qu’ils étaient de l’autre côté de la frontière, leur proposait plusieurs itinéraires clandestins qui leur permettaient de rejoindre Montpellier, en Zone libre, en passant par Lyon. A partir du 11 novembre 1942, la Zone libre était à son tour occupée par les Allemands. Peu importe, à ce moment précis, Albert Ungeheuer était en train de mettre en place aux Ancizes, un village près de Clermont-Ferrand, un centre d’accueil qui jusqu’au printemps 1944 allait accueillir près de 1.200 réfractaires et déserteurs luxembourgeois.


1) Archives nationales de Luxembourg (ANLux), Fonds Affaires politiques (AP), S19 (Diekirch II. ), rapport du 16 septembre 1942

2) ANLux AP S19 (Diekirch II), rapport du 7 octobre 1942

3) ANLux AP S19 (Diekirch II), rapport du ? octobre 1942

4) ANLux AP S19 (Diekirch II), rapport du 5 novembre 1942