Freitag14. November 2025

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FranceRetraites: Elisabeth Borne prend ses distances avec l’Elysée sur la gestion du conflit

France / Retraites: Elisabeth Borne prend ses distances avec l’Elysée sur la gestion du conflit
Elisabeth Borne se démarque d’Emmanuel Macron sur la gestion du dossier de la réforme des retraites Photo: Charly Triballeau/AFP

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La première ministre a tenu hier, dans les colonnes du journal Le Monde daté de ce samedi, des propos qui ont aussitôt retenu l’attention de la classe politique française et des autres médias. Et cela dans la mesure où elle semble prendre à peu près le contre-pied de ce que dit et fait actuellement le président Macron vis-à-vis des syndicats et de la crise suscitée par la réforme des retraites. Mais pas seulement …

Que dit en effet Mme Borne? Précisément ceci: „Il ne faut pas que les syndicats sortent humiliés de cette séquence“, il nous faut „respecter une période de convalescence (…), être extrêmement attentifs à ne pas brusquer les choses, et laisser reposer le pays, qui a besoin d’apaisement“. Et la première ministre d’insister: „On sort d’une opposition frontale. Le pays est en état de sidération, les gens sont un peu K.O. Il faut respecter un temps de décantation“, et „rechercher le bon timing pour renouer le dialogue“.

C’est là, pour le moins, une vision – et, au-delà, une démarche intellectuelle – qui contraste avec la hâte présidentielle à faire entrer en vigueur la réforme, maintenant que les deux motions de censure parlementaires contre le texte gouvernemental ont échoué, à défaut d’un vote positif explicite des députés, et sous réserve, naturellement, de la décision que rendra le Conseil constitutionnel le 14 avril.

„Dire où l’on veut aller“

Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, qui avait eu le malheur, aux yeux de M. Macron, d’évoquer un glissement de la crise sociale vers une crise politique, et que, de Chine où il a achevé hier soir sa visite d’État, le président de la République a poursuivi de ses critiques, a rendu hommage, à la télévision, à ces propos de Mme Borne. Et il l’a qualifiée au passage d’interlocutrice „respectueuse des syndicats“, „toujours disponible pour la discussion en dépit de nos différends“, tout en réaffirmant, bien sûr, son opposition à la réforme des retraites. „C’est autre chose que de jeter de l’huile sur le feu“, a-t-il insisté par référence aux attaques du chef de l’Etat contre l’intersyndicale en général, et sa personne en particulier.

La „période de convalescence“, évoquée par la première ministre, il est vrai, ne serait-ce pas cette fameuse „pause“ que réclamaient en vain, depuis une bonne dizaine de jours déjà, les organisations syndicales et une partie de la gauche politique? S’ajoutant aux considérations sur la nécessité de „laisser reposer le pays“, l’impression prévaut en tout cas que dans l’esprit de la première ministre – et elle n’est évidemment pas seule à faire cette analyse – la France est plutôt malade, et que la „brusquer“ n’est vraiment pas la thérapie la plus pertinente pour la guérir de son malaise actuel.

Mais Élisabeth Borne, dans ses propos rapportés par Le Monde, va plus loin que cette distanciation, qui pourrait après tout n’être que technique. Car elle met aussi en cause la stratégie qui a consisté à rechercher l’appui des députés LR avant de se résoudre à mettre en œuvre l’article 49.3, faute de majorité assurée à l’Assemblée nationale: „Avant d’aller chercher des alliés pour voter les textes, il est important que l’on dise où l’on veut aller“, ajoute-t-elle. Avant d’en arriver à la double petite phrase qui tue, en tout cas dans la logique passablement monarchique de la présidence: „Il faut redonner du sens et du souffle à l’action. Je ne suis pas simplement là pour administrer le pays.“

Une sur-interprétation?

„Donner du sens et du souffle à l’action“, n’est-ce pas, dans l’esprit de M. Macron, la tâche exclusive de l’Elysée? Et le rôle du ou de la chef(fe) du gouvernement n’est-il pas, justement, d’„administrer le pays“, toujours selon le dogme élyséen? De Canton, où il venait d’atterrir hier matin pour l’ultime étape de son périple chinois, M. Macron a fait répliquer sèchement par son entourage que le sens de son action avait précisément été défini par sa dernière intervention télévisée, le mois dernier.

À Paris, le ministre porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, s’est de son côté empressé d’assurer qu’il n’y avait aucune dissension entre l’Elysée et Matignon, et que les commentaires des uns et des autres à ce sujet relevaient d’une „sur-interprétation“. Mme Borne elle-même, en visite hospitalière (chahutée) dans l’Aveyron, a répondu plus ou moins dans le même sens aux questions dont la pressaient les journalistes. Mais qui peut sérieusement croire qu’il n’y ait pas, au minimum, une double lassitude chez la première ministre?

D’abord celle que peut susciter chez elle le fait d’être si souvent laissée seule sur le front, si difficile à gérer, de la réforme des retraites. Une nouvelle fois, le chef de l’Etat a mis de la distance (en l’occurrence quelque 8.000 kilomètres!) entre les soucis domestiques et sa quête d’image internationale; moyennant quoi son voyage en Chine aura été largement perturbé par les échos venus de Paris. Cependant que Mme Borne devait faire face à des syndicats exaspérés par l’attitude … du président.

Retrouvailles délicates

Ensuite par l’ambiguïté du rôle qui est le sien sur un plan plus directement politique, pour ne pas dire politicien. Dans une vie antérieure, Mme Borne a fait carrière à gauche, dans des cabinets ministériels socialistes notamment. Après quoi, certes, personne ne l’a obligée à devenir ministre, puis première ministre, de ce jeune président qui prétendait – il y a six ans, il y a un siècle – dépasser la césure droite/gauche pour réconcilier les Français.

Mais porter, dans une certaine solitude tactique, une réforme d’inspiration évidemment droitière, et devoir, puisque tel est le mandat qu’Emmanuel Macron lui a assigné récemment, „élargir la majorité“, évidemment sur sa seule droite, et alors que les Républicains n’ont actuellement ni intérêt, ni envie de la rejoindre, voilà qui commence à faire beaucoup.

Les délicates retrouvailles vont-elles, entre les deux têtes de l’exécutif, être l’occasion d’une réconciliation, mais jusqu’à quand? D’une rupture, mais au profit de qui, et à quelles fins stratégiques? Ou encore d’un de ces faux-semblants infiniment provisoires dont la vie publique française est prodigue? Nul ne se hasardait hier soir à formuler un pronostic catégorique. Mais une chose, du moins, est sûre: l’image du pouvoir s’en trouve abîmée. Certains diront que ce n’est pas nouveau; mais beaucoup noteront que jusqu’à présent, ce n’était pas aussi clair.