Nicolas Sarkozy en garde à vue

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Nicolas Sarkozy a été placé en garde à vue pour y être entendu par la police judiciaire à propos du financement de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007, sur laquelle pèsent depuis des années certains soupçons concernant notamment la très importante contribution qu’y aurait apportée Kadhafi.

Nicolas Sarkozy a été placé en garde à vue pour y être entendu par la police judiciaire à propos du financement de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007, sur laquelle pèsent depuis des années certains soupçons concernant notamment la très importante contribution qu’y aurait apportée Kadhafi.

De notre correspondant Bernard Brigouleix, Paris

Cette procédure n’entame certes pas la présomption d’innocence dont l’ancien président français doit bénéficier comme tout autre justiciable, et elle était d’ailleurs attendue; mais elle n’en constitue pas moins un séisme politique.

„Aurait-on imaginé le général de Gaulle mis en examen?“, avait ironiquement demandé François Fillon lorsque cette mésaventure judiciaire était arrivée à Sarkozy durant l’été 2016. Il est vrai que l’auteur de cette formule assassine n’allait pas tarder à connaître lui aussi le même désagrément …

Mais la garde à vue, qui peut être prolongée jusqu’à 48 heures en fonction de la peine encourue (et davantage encore pour les affaires de terrorisme), représente sans doute une image symboliquement plus forte encore que la mise en examen: comme son nom l’indique, le prévenu est gardé, notamment pour l’empêcher de faire disparaître des preuves ou de circonvenir d’éventuels témoins ou complices. C’est évidemment, dans l’histoire de la République, une „première“ dont celle-ci se serait bien passée …

Les faits reprochés à Sarkozy, et corollairement à certains de ses très proches collaborateurs comme l’ancien secrétaire général de l’Elysée puis ministre de l’Intérieur Claude Guéant, ou le fidèle entre les fidèles qu’est Brice Hortefeux, lui aussi ancien ministre, et qui a été, de son côté, entendu par la police comme suspect libre, touchent au versement possible d’une forte somme – on parle en général de 50 millions d’euros – par un intermédiaire de l’ex-dictateur libyen, tué le 20 octobre 2011 dans des circonstances qui ont d’ailleurs alimenté bien des suppositions.

Les confidences des anciens kadhafistes

C’était hier la première fois que l’ancien président était sommé de s’expliquer à propos de ce financement libyen depuis qu’une information judiciaire a été ouverte en avril 2013, et confiée à plusieurs juges d’instruction du pôle financier de Paris, dont celui qui l’avait déjà renvoyé devant le tribunal pour l’affaire Bygmalion. C’est en fait la publication, en mai 2012, par le site Mediapart, d’un document libyen faisant état d’un financement par Tripoli de la campagne présidentielle de Sarkozy, qui avait mis les magistrats sur la piste. Depuis, leur enquête semble avoir nettement progressé … et renforcé les soupçons.

Et cela d’autant plus qu’en novembre 2016, en pleine primaire des Républicains pour désigner leur candidat à la présidentielle de 2017, un richissime homme d’affaires franco-libanais, Ziad Takieddine, avait fait sensation en affirmant avoir transporté cinq millions d’euros en argent liquide de Tripoli à Paris dix ans plus tôt et les avoir remis à Claude Guéant pour Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur. Ses propos venaient confirmer ceux qu’avait tenus en 2012, devant le procureur général du Conseil national de transition libyen, l’ancien directeur du renseignement militaire du régime libyen Abdallah Senoussi.

Même remarque pour les notes personnelles récupérées par la justice française après la mort, également survenue dans des circonstances assez troubles, d’ailleurs, de l’ancien ministre libyen du pétrole Choukri Ghanem, et qui portaient trace, elles aussi, de versements d’argent à destination de Nicolas Sarkozy. De même encore pour les confidences faites au journal Le Monde par Bechir Saleh, l’ancien grand argentier de Kadhafi et chargé des relations secrètes avec Paris, récemment blessé par balles lors d’une mystérieuse agression à Johannesburg.

Plus récemment, les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales ont exposé aux magistrats, nombreux témoignages à l’appui, comment l’argent liquide a circulé au sein de l’équipe de campagne sarkoziste. Jusqu’alors, les enquêteurs pensent déjà avoir remonté l’une des pistes de l’argent libyen à travers l’intermédiaire Alexandre Djouhri, alors proche de Bechir Saleh, et toujours incarcéré à Londres mais qui pourrait être extradé vers la France.

L’image de la France ternie

Le placement de l’ancien président français en garde à vue pourrait être le signe que les investigations des magistrats et des policiers spécialisés ont enregistré un nouveau progrès, suffisamment important pour les conduire à une décision aussi spectaculaire. Ou peut-être, aussi, que d’anciens dignitaires kadhafistes ont fait des révélations convaincantes …

Nicolas Sarkozy, quant à lui, a toujours repoussé catégoriquement les accusations portées contre lui à ce sujet, en les traitant de rumeurs diffamatoires et sans aucun fondement. Et les premières réactions de la classe politique – dont, pourtant, nombre de personnalités, à droite comme à gauche, ne faisaient guère mystère depuis des années, „off the record“, de leurs convictions personnelles cet égard – vont presque toutes dans le sens d’un rappel à la présomption d’innocence.

Parmi les rares qui osent aller nettement plus loin, on peut citer le sénateur communiste du Nord Eric Boquet, qui se demande: „La vérité est-elle enfin en marche?“, ou encore Florian Filippot, qui a quitté le Front national pour fonder Les Patriotes, et qui écrit: „Jamais agréable pour la fierté nationale de voir d’anciens présidents en garde à vue, oui.

Mais la vraie question est ailleurs: Avez-vous le sentiment que les hommes installés à l’Elysée depuis pas mal de temps sont dignes de la fonction de président de la République?“

Mais outre le fort malaise politique que peuvent éprouver beaucoup de Français, même tout à fait hostiles à Sarkozy, à l’idée de voir un ancien locataire de l’Elysée ainsi officiellement mis en cause, et à propos justement de la campagne qui l’y avait conduit, et d’un financement aussi calamiteux, c’est aussi une partie du passé diplomatique et militaire récent de la France qui pourrait ainsi être entaché de suspicion. Du moins en ce qui concerne, bien sûr, le rôle central qu’elle a joué dans le déclenchement et la poursuite très active des bombardements de la Libye, jusqu’à la mort de son chef mégalomane.

Comme s’il s’était agi, bien davantage que de mettre un terme à une dictature arabe parmi d’autres, à la faveur du printemps du même nom, de faire taire à toute force un ancien mécène devenu redoutablement compromettant. Hypothèse, certes, qui peut encore relever d’une sorte de mauvais roman d’espionnage, et être finalement démentie; mais dès maintenant, beaucoup redoutent que cette situation ne nuise beaucoup à l’image de la France … et à celle, déjà plus qu’écornée, de son personnel politique.