De la sexualité en prison

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De Norbert Campagna*

Dans cette contribution, je me propose d’analyser d’un point de vue éthique la question de la privation de liberté sexuelle liée à l’incarcération de personnes soupçonnées d’avoir commis un délit ou crime – détention préventive ou provisoire – ou condamnées à une peine privative de liberté – détention punitive. Il s’agit là d’un sujet encore assez marginal dans la discussion philosophique, et plus particulièrement éthique, alors que plusieurs travaux de sociologues y ont déjà été consacrés. Á ma connaissance, la question n’a pas encore fait débat au Luxembourg. Mais peut-être serait-il temps de s’y intéresser.

„La liberté sexuelle appartient-elle à la catégorie des libertés dont un individu peut être privé ou bien appartient-elle à la catégorie des libertés dont un individu doit pouvoir jouir, même en milieu carcéral?“

Prison et privation de libertés

L’emprisonnement est une peine privative de liberté. Plus précisément: la personne emprisonnée conserve certes encore certaines libertés, mais elle est privée d’autres libertés. Un des enjeux majeurs d’une réflexion normative consacrée à la question de la privation de libertés consiste à définir de manière juste les libertés dont une société peut priver un individu qui s’est rendu coupable d’une violation de la loi et celles qu’elle doit lui laisser (1). Ainsi, nous concevons en général qu’on puisse priver un tel individu – du moins pendant quelques années – de la liberté de se rendre aux Maldives, mais nous ne concevons pas qu’on puisse le priver de la liberté de se tenir informé de l’actualité ou de poursuivre des études.

Mais qu’en est-il de la liberté sexuelle? Appartient-elle à la catégorie des libertés dont un individu peut être privé ou bien appartient-elle à la catégorie des libertés dont un individu doit pouvoir jouir, même en milieu carcéral? Et si elle appartient à cette seconde catégorie, quelles activités sexuelles la personne concernée devrait-elle pouvoir librement accomplir?

Liberté sexuelle négative et liberté sexuelle positive

Distinguons dans ce contexte la liberté sexuelle négative de la liberté sexuelle positive. La première consiste à ne pas être soumis à des actes sexuels qui ne sont pas désirés ou, pire, qui sont imposés, alors que la seconde consiste à pouvoir pratiquer une activité sexuelle voulue.

La situation en milieu carcéral est bien souvent génératrice de violations de la liberté sexuelle négative, beaucoup de prisonniers étant les victimes de viols commis sur eux par d’autres prisonniers. Quoique ces actes soient le plus souvent commis par des hommes sur des hommes, ils ne sont pas l’expression d’une quelconque homosexualité, mais ce sont dans la plupart des cas des actes „par défaut“ et ils traduisent bien souvent une volonté d’humilier et de soumettre l’autre. Ils s’inscrivent ainsi dans un contexte de pouvoir et de violence.

La situation carcérale est aussi souvent violatrice de la liberté sexuelle positive, et ce dans la mesure où la très grande majorité des prisonniers ne peut pas pratiquer l’activité sexuelle qu’elle désirerait pratiquer. Si les personnes détenues sont certes libres de pratiquer des formes de sexualité en solitaire – mais dans des conditions souvent problématiques lorsqu’il y a plusieurs personnes détenues dans une cellule – elles ne peuvent le plus souvent pas pratiquer des formes de sexualité impliquant deux personnes, et surtout pas impliquant deux personnes de sexe différent.

„C’est devant une conception de la sexualité comme vecteur de valeurs importantes pour l’être humain et pour le sens qu’il donne à sa vie que doit être envisagée la question de la sexualité en prison.“

Le rôle de la sexualité dans la vie de l’individu

Dans nos sociétés contemporaines, l’activité sexuelle est associée à la quête du bonheur et de l’épanouissement personnel. De la sorte, elle n’occupe pas seulement une place marginale dans la vie des individus et elle n’est plus seulement justifiée dans un cadre reproductif. Cela n’exclut pas qu’il existe des individus qui n’accordent pas d’importance à la sexualité, sans que ces individus doivent pour autant être considérés comme „malades“. Le droit de mener une vie sexuelle comme on l’entend ne doit en aucun cas être conçu comme un devoir.

L’activité sexuelle joue notamment un rôle important dans la consolidation des rapports interhumains, et plus particulièrement dans la vie de couple. Elle est aussi un moyen de communication. Et comme nous le rappelle le mythe de Gilgamesh, elle joue aussi un rôle civilisateur important. Certains auteurs vont même jusqu’à trouver une dimension sacré à l’acte sexuel. Boudhiba écrit par exemple que pour l’islam, l’acte sexuel est à considérer comme un „bienfait de Dieu dont la jouissance doit être mise à la portée de tous et de toutes, de la puberté jusqu’à l’extrême fin d’une vieillesse“. (2) Et les auteurs d’inspiration chrétienne ne sont pas en reste, certains estimant que l’acte sexuel „signifies in a concrete way the union of Christ and his Church“. (3)

C’est devant une conception de la sexualité comme vecteur de valeurs importantes pour l’être humain et pour le sens qu’il donne à sa vie que doit être envisagée la question de la sexualité en prison. De manière un peu exagérée, cette question pourrait être formulée de la manière suivante: a-t-on le droit de priver l’individu d’une liberté lui permettant de réaliser certaines valeurs auxquelles nous accordons une très grande importance?

Le respect de la liberté sexuelle négative

Le respect de la liberté sexuelle négative devrait être une priorité absolue dans toute prison. Il est inadmissible qu’un individu soit exposé à un plus grand risque de se faire violer à l’intérieur de la prison qu’à l’extérieur. Il incombe aux autorités pénitentiaires de créer des conditions d’incarcération telles que le risque de se faire violer soit réduit au minimum, voire soit inexistant. Cela passe par une identification des individus qui courent un plus grand risque de se faire violer. Par ailleurs, les personnes incarcérées victimes de viols devraient pouvoir déposer plainte sans risquer des représailles de la part de leurs agresseurs et, doit-on ajouter, sans risquer de voir leurs doléances ignorées par les autorités pénitentiaires ou judiciaires.

Dans la mesure où l’État incarcère des personnes, il est responsable du respect de leur intégrité physique et il lui incombe donc de mettre en œuvre les moyens nécessaires et adéquats pour faire en sorte que cette intégrité soit respectée.

Le respect de la liberté sexuelle positive

S’il paraît évident que la liberté sexuelle négative des personnes détenues soit respectée, la question du respect de leur liberté sexuelle positive soulève encore de nombreux débats. Sans même évoquer le cas de personnes détenues qui ne vivent pas en couple – officialisé ou non –, le cas de la vie sexuelle de personnes mariées ou pacsées dont l’une a été condamnée à une peine de prison de longue durée est déjà assez épineux à lui seul. Ces personnes devraient-elles avoir le droit de pouvoir avoir des rapports sexuels avec leur partenaire pendant leur période de détention?

Á l’heure actuelle, de tels rapports ont encore souvent lieu dans des parloirs, parfois, si ce n’est même souvent, avec le bon vouloir des gardiens ou surveillants qui, en principe, ne devraient pas laisser faire. Toutefois, certains pays ont déjà opté pour des Unités de vie familiale qui permettent à la conjointe ou au conjoint de passer un certain temps avec leur conjoint ou leur conjointe à l’abri des regards indiscrets.

„La sexualité devrait être explicitement thématisée en prison, comme elle devrait aussi l’être en beaucoup d’autres endroits – je pense par exemple à l’école.“

Conclusion

Dans un univers pénitentiaire idéal, il n’y aurait qu’un seul détenu par cellule et chaque cellule aurait une douche, de sorte que les détenus n’auraient pas à prendre des douches collectives et s’exposer ainsi à des situations où le risque d’atteinte à l’intégrité sexuelle de l’individu est assez grand. Nul besoin de dire que nous sommes encore loin de cet univers idéal et que sa réalisation ne serait possible que si l’une au moins des trois conditions suivantes était remplie: (1) des investissements massifs dans la construction de nouvelles prisons, (2) une réduction massive du nombre de cas où on recourt à l’incarcération, qu’elle soit préventive ou pénale et (3) une réduction massive de la criminalité.

Vu l’état actuel des finances publiques ainsi que leur évolution prévisible, la première condition ne se réalisera pas de sitôt. La troisième condition me paraît aussi plutôt ressortir du domaine de l’utopie. La deuxième condition est réalisable, et un recours plus systématique au bracelet électronique constitue une option alternative acceptable à l’incarcération – du moins pour un certain nombre de personnes détenues.

La réalisation de cette deuxième condition permettrait par ailleurs de faire d’une pierre deux coups, car elle apporte non seulement une solution au problème de la liberté sexuelle négative, mais aussi une solution au problème de la liberté sexuelle positive. Dans la mesure où la personne condamnée est, si l’on peut dire, détenue entre les quatre murs de son propre domicile, elle peut y mener la vie sexuelle qu’elle désire.

Pour terminer, ajoutons que la sexualité devrait être explicitement thématisée en prison, comme elle devrait aussi l’être en beaucoup d’autres endroits – je pense par exemple à l’école. Comme n’importe quelle autre dimension de notre humanité, elle devrait pouvoir faire l’objet d’une réflexion dépassionnée et décomplexée, non pas, ajoutons-le, afin que chacun, comme cela se fait actuellement, déballe sa vie sexuelle sur l’espace public, mais afin que chacun apprenne à réfléchir sur la dimension sexuelle de son être et l’intègre dans une construction sensée du soi et de sa relation aux autres.

*Norbert Campagna est professeur-associé de philosophie à l’Université du Luxembourg et professeur de philosophie au LGE et en classe préparatoire au LCE. Il est notamment spécialiste en éthique de la sexualité – en 2013 il s’est vu décerner un Trophée de la Recherche en Ethique pour ses travaux sur l’éthique de la sexualité.