Placer l’école au centre du débat politique

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Une tribune par Norbert Campagna*

Dans quelques mois, voire dans quelques semaines, la campagne électorale pour les législatives d’octobre 2018 commencera à tourner à plein régime – à moins qu’elle ne le fasse déjà.

A côté de la distribution de gadgets débiles en tous genres, dont même les plus puissants télescopes ne réussiront jamais à faire voir le lien avec la politique dans le sens noble du terme, et à côté des faciès plus ou moins sympathiques et souriants de femmes et d’hommes politiques se prenant pour des stars et qui oublient qu’avant d’être une affaire de personnes, la politique est d’abord une affaire de principes, de convictions et d’idées, on aura peut-être la chance de rencontrer des sujets de discussion.

Gageons que parmi ceux-ci il y aura l’immigration, le chômage et le pouvoir d’achat, l’environnement, la croissance économique ou encore les retraites. Avec un peu de chance, on trouvera peut-être quelques lignes, probablement plus que vagues et qui ne feront pas de vagues, sur l’école.

Mais l’école ne devrait-elle pas figurer au centre du débat? N’est-ce pas de l’école que dépend le futur d’un pays? Et l’école n’est-elle pas en crise? Ne serait-il pas temps que nos femmes et nos hommes politiques se penchent enfin sérieusement sur le chantier de l’école et qu’ils remettent sur les rails un système d’enseignement qui déraille de plus en plus? La révolution libératrice de l’école amorcée à la fin des années 60 n’a-t-elle pas fini par déboucher sur le despotisme des maîtres ès sciences de l’éducation? L’autorité morale des anciens professeurs n’a-t-elle pas été remplacée par l’autorité bien plus contraignante de ces nouveaux maîtres qui, s’appuyant sur les résultats les plus récents des neurosciences, prétendent créer „l’élève nouveau“. Ne voyons-nous pas ici un phénomène analogue à celui que certains auteurs observent dans le domaine de la sexualité: à l’interdiction de jouir à succédé une obligation de jouir. J’entends déjà des voix s’élever et crier: „Vade retro reactionario!“ Ce sont ces mêmes voix qui se sont élevées lorsque Madame Anne Brasseur proclamait – et elle avait parfaitement raison – qu’il fallait que les enfants apprennent d’abord à lire, à écrire et à calculer. Retour à l’essentiel donc, à ce sans quoi tout le reste sera une roue qui tourne à vide.

Mais on ne l’a pas écoutée, et aujourd’hui on voit les dégâts. Des élèves de 4e qui, comme ils ne maîtrisent pas le français, sont incapables de répondre correctement à des questions en histoire. Et on n’en est plus à l’époque où c’étaient uniquement l’orthographe et la grammaire qui posaient problème. Aujourd’hui, le mal touche la syntaxe, l’articulation de la phrase.

La syntaxe, c’est la structure du langage et de la pensée, c’est, si l’on veut, son squelette. A quoi bon savoir comment s’écrit „cynhorodon“ ou comment se conjugue le subjonctif plus-que-parfait, si on n’est pas capable de faire une simple phrase? A quoi bon vouloir que nos élèves dissertent sur les grandes questions de l’humanité s’il leur manque le vocabulaire pour le faire et la maîtrise des règles pour aligner ces mots dans un ordre cohérent?

A quoi bon vouloir que nos élèves fassent preuve d’esprit critique s’ils ne sont plus capables de comprendre des textes leur permettant de nourrir cet esprit critique et de le faire grandir? Car les enfants n’ont pas, n’en déplaise aux platoniciens et autres constructivistes, la science infuse, mais seulement la capacité à nourrir leur esprit et à le faire se développer. Mais pour cela, ils ont besoin d’un enseignement approprié dont le tant honni cours magistral et la tout aussi honnie répétition (des tables de multiplication, des conjugaisons …) restent des éléments essentiels.

Oui, je l’avoue, je suis réactionnaire en matière d’enseignement, et je ne vois pas pourquoi le mot devrait faire peur. Si demain le gouvernement détricote le droit du travail et instaure la journée de 10 h, je réagirais en demandant un retour en arrière. Le réactionnarisme peut être un humanisme lorsqu’il réagit à des changements déshumanisants.

Or dans le domaine de l’enseignement, il me semble que nous sommes engagés sur la voie de la déshumanisation. Nos enfants sont de plus en plus réduits à des cerveaux dont les neurosciences prétendent expliquer le fonctionnement, s’érigeant, dans la foulée, en nouveau sauveur de l’humanité. Sans vouloir mettre en doute l’intérêt d’une approche neuroscientifique, il convient de se rappeler que les sciences naturelles ne constituent qu’un langage parmi d’autres pour décrire une réalité très complexe. Ce langage décrit les aspects de la réalité facilement manipulables et fait l’impasse sur le reste. Le jour où elles auront réussi à nous faire oublier ce reste, nous serons à la merci des manipulateurs du cerveau – qui sont bien plus dangereux que les manipulateurs de l’esprit.

J’en appelle ici aux femmes et hommes politiques de tout bord: plutôt que de lancer une n-ième réforme et de se contenter de nouvelles dénominations, plutôt que de vous limiter à des propos vagues, plutôt que de vous lamenter une n-ième fois sur la place du Luxembourg dans le classement PISA, lancez enfin un débat sérieux et radical, au sens étymologique du terme, sur l’école et sur ses finalités. Il est grand temps que nous ayons à nouveau une école qui instruise vraiment et qui, plutôt que de se mettre à la traîne d’une logique économique qui recherche des „ressources humaines“ utilisables – comprenons: exploitables – revienne à la logique humaniste et humanisante qui a animé le projet initial des Lumières, mais aussi le projet marxiste – le vrai marxisme, comme d’ailleurs le vrai libéralisme, n’étant qu’un scion des vraies Lumières. Et il va sans dire que dans notre monde contemporain, tous les enfants doivent pouvoir profiter de cet enseignement.

Pour ce faire, le budget de l’Education nationale devrait devenir le budget prioritaire du prochain gouvernement. Et l’école devrait être au centre des débats politiques.

*Norbert Campagna est professeur- associé de philosophie à l’Université du Luxembourg et professeur de philosophie au LGE ainsi qu’en classe préparatoire au LCE. Il est notamment spécialiste en éthique de la sexualité – en 2013 il s’est vu décerner un trophée de la recherche en Ethique pour ses travaux sur l’éthique de la sexualité.