La déconstruction de l’école publique (I)

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Une tragédie en cinq actes

Acte premier: loi du 13 juin 2003 concernant les relations entre l’Etat et l’enseignement privé. Cette loi élaborée par la ministre Brasseur garantit aux écoles privées appliquant le programme de l’enseignement public une participation sur le coût par élève de 90% du coût calculé pour l’enseignement public.
Acte deux: la participation aux évaluations PISA de l’OCDE qui fait apparaître l’école luxembourgeoise comme peu performante et très inégalitaire. Ne tenant pas compte de la situation linguistique spécifique et n’accordant aucune valeur aux performances des élèves dans les apprentissages de langues étrangères, elle constate que les élèves luxembourgeois sont moins performants en lecture, mathématiques et sciences à l’âge de 15 ans que la moyenne des élèves dans les pays de l’OCDE. Elle constate en outre que les élèves provenant de milieux sociaux défavorisés ou issus de l’immigration ont moins de chances de réussite.

Acte trois: la loi scolaire de 2009 qui abolit les prérogatives des communes sur les organisations scolaires et attribue aux écoles fondamentales un contingent de leçons, calculé sur un encadrement moyen de 16 élèves par classe, modulé légèrement selon un indice social par commune et qui réduit progressivement sur une période de dix ans le nombre d’enseignants travaillant directement avec les élèves.

Les langues

Acte quatre: création d’écoles fondamentales publiques à régime linguistique spécifique, comme les écoles fonctionnant sur le modèle des écoles européennes ou les classes internationales anglophones au niveau de l’enseignement fondamental du Lycée Michel Lucius. Désormais, la maîtrise de l’allemand et du français aux fins de servir de langues d’enseignement n’est plus requise. Ce qui aura certainement des influences sur les revendications des écoles privées offrant des filières comparables.

Acte cinq: la bureaucratisation croissante de l’école fondamentale publique à travers les plans de développement scolaire, la loi sur les directions de région, l’ouverture de différentes carrières spécialisées dans l’enseignement fondamental et la multitude de projets déposés actuellement à la Chambre des députés destinés à compliquer le travail des enseignants en faisant apparaître la préparation et la tenue des cours comme secondaire par rapport à la multiplication des tâches administratives de documentation et de consultation. De plus en plus l’école publique sert à catégoriser les élèves en enfants à besoins spécifiques ou particuliers, voire à haut potentiel et à conseiller les parents sur l’entraînement nécessaire à consolider les apprentissages que ce soit via programmes informatiques ou cours complémentaires payants.

Les enseignants constatant de jour en jour les dégâts successifs ont du mal à comprendre le pourquoi de ces réformes absurdes. D’année en année des postes d’enseignants disparaissent à nombre d’élèves égal.

Si de surcroît le nombre d’élèves diminue, l’organisation scolaire devient un casse-tête incroyable avec des regroupements de plus de 20 élèves pour certaines classes ou encore pour certains cours, afin de rentrer dans les chiffres du contingent. Des écoles qui avaient quatre postes d’appui pour aider les élèves en difficulté sur les différents cycles ont dû utiliser ces leçons du contingent pour créer des classes. Evidemment les parents d’élèves ne comprennent pas pourquoi leur enfant ne peut plus bénéficier de cette aide alors que le ministre raconte partout qu’il crée des postes spécialisés pour des élèves à besoins particuliers ou spécifiques. La triste réalité consiste dans le fait que les 150 postes qui seront créés à terme permettront tout juste à mettre à disposition d’une école de taille moyenne un enseignant spécialisé pour tous les cycles, donc bien moins de ce dont les écoles bénéficiaient avant l’introduction du contingent. Mais, nous dira-t-on, ce seront désormais des instituteurs spécialisés! Nous verrons dans les années à venir, si cette spécialisation leur confère en effet la faculté de s’occuper d’un nombre d’enfants croissant avec une efficacité accrue, ou si elle consiste surtout à choisir les termes adéquats pour décrire les besoins et à prescrire des thérapies appropriées sans avoir le temps de les mettre en œuvre.

Nombreux sont ceux qui ne peuvent pas croire que cet acharnement sur l’école publique se fait de manière délibérée. Il est en effet légitime que les études PISA mettent le doigt sur l’inégalité des chances. Les enseignants engagés se sentent pris en défaut devant de telles constatations. Néanmoins les remèdes proposés comme l’évaluation par compétences, le non redoublement ou l’implication croissante des parents sont loin de les convaincre et face à la réduction constante des moyens pour venir en aide à ceux qui ont des difficultés, ils commencent à comprendre que ce n’est pas la réussite des enfants en difficulté qui est le but de l’opération, mais plutôt un nivellement vers le bas des objectifs de l’école publique.

Système exigeant

Oui, le système scolaire luxembourgeois est exigeant! Les élèves qui le fréquentent mettent une, voire deux années de plus pour obtenir leur diplôme de fin d’études secondaires. Pourtant, cela a permis à nos jeunes de poursuivre leurs études dans les universités les plus prestigieuses de tous nos pays voisins et de bien d’autres. Est-ce que cela restera possible dans le futur pour les élèves les plus méritants de l’école publique? Rien n’est moins sûr!

Oui, tous ne se dirigent pas vers des études universitaires et les exigences trop fortes risquent de décourager certains jeunes dans la poursuite de leurs apprentissages. Mais réussiront-ils mieux avec une étiquette „besoins particuliers ou spécifiques“? Ne leur faudrait-il pas plutôt des enseignants plus disponibles pour leur accorder une aide supplémentaire dès que les premières difficultés apparaissent?

Même un redoublement peut être efficace quand il n’est pas vécu comme stigmatisant, mais comme une chance pour mieux maîtriser ses apprentissages.

MONIQUE ADAM, PRÉSIDENTE DE LA FÉDÉRATION GÉNÉRALE DES INSTITUTEURS LUXEMBOURGEOIS (FGIL)