Une lente maturation

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Alors que le sixième Salon du livre consécutif se termine pour Hydre Editions et que dans les coulisses, des négociations en vue de Francfort ont eu lieu, nous revenons sur les moments forts et les enjeux de la présence luxembourgeoise à des salons littéraires à l’étranger.

De Jeff Schinker

Samedi, 17 mars. 17 heures approchent, le début officiel de la rencontre avec trois auteurs francographes luxembourgeois qui ont fait le déplacement à Paris pour présenter leurs parutions récentes. Nathalie Ronvaux, qui vient de publier “ Subridere – Un aller simple“ chez Hydre Editions, accueille les intéressés potentiels avec un large sourire, et cela malgré le fait que le stand luxembourgeois semble pris d’assaut plus par passion gastronomique que littéraire (non, le stand luxembourgeois ne vend pas de livres de cuisine, mais l’ambassade offrait un pot).

„Pour moi, c’est toujours un réel plaisir d’être invitée au salon de Paris“, explique l’auteure. „Il faut souligner le travail effectué par Valérie Quilez de la mission culturelle du Luxembourg en France, qui témoigne d’un véritable engagement pour la littérature luxembourgeoise et pour les artistes. Car la circulation des œuvres et des artistes est un enjeu primordial. Il en va de même pour la diffusion, qui est un véritable défi pour le Luxembourg. La présence du Luxembourg sur des salons internationaux est importante, puisqu’elle contribue à la mise en réseau et qu’elle favorise les rencontres, les contacts et les échanges.“

A ses côtés, Carla Lucarelli, qui a récemment publié „La disparition de Wanda B“ et le prolifique Lambert Schlechter, dont la publication la plus récente s’appelle „Monsieur Pinget saisit le râteau et traverse le potager“, signent des livres sur un stand entouré d’autres pays francophones et d’un espace dédié à Dieu et la bible – un peu comme si la France voulait taquiner son pays voisin sur sa trop lente laïcisation. Pour Carla Lucarelli, „il est toujours intéressant de discuter avec de nouveaux lecteurs potentiels, avec des gens qui flânent et s’arrêtent et qu’on n’aurait pas atteints sans ce genre d’événement.“

Amazones et autoédition

Ailleurs, au salon, les choses poursuivent leur petit bonhomme de chemin de façon classique – des auteurs signent des livres, des files se forment autour d’écrivains de best-sellers dont je n’ai jamais entendu parler et qui seront remplacés, dans quelques années, par d’autres auteurs à best-sellers échangeables, serrés dans des costumes et affichant des sourires soigneusement étudiés devant le miroir alors que d’autres écrivains, moins connus, utilisent ce même temps pour travailler non pas leur apparence physique mais la langue française.

Des absents se font sentir – les Editions de l’Olivier ne sont pas là – alors qu’on note des phénomènes fâcheux telle que la présence de plus en plus massive d’Amazon, dont le logo est accompagné d’un „maison d’édition“ qui donne des frissons. S’y étalent des bouquins autopubliés aux couvertures hideuses promettant souvent des romans à l’eau de rose anecdotiques. C’est se faire des sous sur le dos des espoirs de publication de tous les milliers de refusés par les maisons d’édition officielles. „Tu verras, dans quelques années, il y aura de plus en plus de stands comme ça, avec des pseudo-éditeurs incitant à l’autopublication narcissique“, estime Ian De Toffoli.

Valérie Quilez est la tête pensante et discrète derrière la présence luxembourgeoise au Salon du livre. En effet, pendant longtemps, la présence du Luxembourg au Salon du livre fut assurée par la Fédération des éditeurs luxembourgeois avant que le ministère de la Culture ne s’en charge. Valérie Quilez se rappelle encore de l’année de transition, qu’elle qualifie de creuse, précisant qu’il est normal qu’un tel changement ne se fasse pas sans heurts.

„Notre rôle – celui du ministère de la Culture – est de mettre à disposition un espace aux éditeurs luxembourgeois qui cherchent à être présents et qui veulent professionnaliser la littérature luxembourgeoise francographe. Il incombe ensuite aux éditeurs de clairement définir leurs objectifs et de réfléchir aux enjeux et aux intérêts que peut constituer leur présence au salon.“

„La vente des bouquins ne peut pas être notre seul objectif, quoique celle-ci grimpe de façon assez conséquente au fil des années, ce qui est un très bon signe“, explique l‘éditeur Ian De Toffoli. „Cette année, nous avons vendu plus de 70 livres, ce qui n’est pas anodin. Le véritable objectif consiste cependant à tisser des liens avec les milieux professionnels, à parler à des diffuseurs. C’est un processus assez lent, mais qui porte ses fruits. Il était clair dès le départ qu’il ne suffirait pas d’une année pour que nos livres trouvent leur place dans les librairies françaises. Ce qu’on fait, le travail qu’on effectue, des pays comme la Belgique et la Suisse le font aussi. Sauf qu’eux le font depuis plus longtemps. Et qu’ils bénéficient déjà de leurs bureaux d’exports. C’est une des raisons pour lesquelles il faut poursuivre l’aventure: parce que bientôt, nous en disposerons aussi. Par ailleurs, depuis qu’on s’est professionnalisé du côté marketing et publicité, et qu’on distribue des catalogues ou des cartes postales, il y a des retours positifs après le salon: je constate souvent qu’après le salon, des gens commandent des livres en ligne.“

Des plans pour Francfort à Paris

L’aventure du Salon du livre est aussi et surtout, depuis maintenant cinq ans, celle d’Hydre Editions, qui est la seule maison d’édition à avoir investi, de façon persistante et continue, son énergie et son personnel humain, limité, pour assurer une présence annuelle du Luxembourg au stand.

Un changement, de taille, consiste dans le fait que, pour la première fois, le stand luxembourgeois expose et vend des livres d’éditeurs qui ne sont pas présents (tels Phi, Binsfeld, Saint-Paul et Kremart). Valérie Quilez juge ce geste, qui part d’une initiative d’Hydre Editions, fort „collégial et admirable“.

„Les Editions Phi m’ont dit qu’elles préféraient, pour cette année culturelle, se concentrer sur des salons régionaux tel que, par exemple, le Livre sur la place à Nancy. L’argument me paraît tout à fait sensé, même s’il est évidemment dommage que l’éditeur n’ait pas été présent pour la mouture 2018.“ „N’oublions pas non plus le travail effectué par le CNL, qui a détaché une employée pour la durée du salon“, ajoute Valérie Quilez. La détachée en question, Ludivine Jehin, nous explique que la présence du CNL se justifie dans la promotion et la valorisation de la littérature luxembourgeoise, objectifs qui font partie de sa mission. „Les salons sont un lieu pour les éditeurs et pour les auteurs en premier lieu. Mais à un moment où la présence à Paris paraissait se fragiliser, et à un moment où tout est misé sur Francfort, il était important pour le CNL d’apporter son soutien, en espérant que cela permettra de renforcer cette présence parisienne indispensable pour garder l’équilibre littéraire et linguistique et pour nourrir nos liens avec le monde littéraire francophone.“

Interrogée sur la comparaison avec Francfort, où le CNL avait un stand l’année dernière, Ludivine Jehin affirme que „tout est différent. Au contraire du stand qu’on avait à Francfort, le stand luxembourgeois à Paris est de nature collective et structurelle, dans le sens où il s’agit d’assurer une réponse, de proposer notamment des catalogues d’expo pour faire le lien avec les livres et auteurs plutôt que de présenter le CNL en tant qu’institution. C’est plus un soutien, Hydre Editions restant le pilier du stand.“

Confrontée à la question de savoir pourquoi le Salon du livre parisien bénéficie d’un financement beaucoup moins élevé que le projet Francfort, Valérie Quilez estime qu’il faut tout d’abord voir que Francfort est, avant tout, un salon de professionnels là où le Salon du livre à Paris reste en partie un salon pour le public, pour les passionnés du livre, ses amateurs. Elle ajoute que c’est aussi une question de réalités du marché, certains auteurs luxembourgeois germanographes comme par exemple Guy Helminger ayant mieux percé à l’étranger.

„D’ailleurs“, enchaîne-t-elle, „des rendez-vous ont été mis en place avec des homologues francophones tels que la Belgique, le Canada, la Suisse. Une employée du ministère de la Culture, Nora Si Abderrahmane, accompagnée de la coordinatrice de la Frankfurter Buchmesse Anina Valle Thiele, ont rencontré ces homologues afin de pouvoir mieux se préparer pour la présence luxembourgeoise en Allemagne en octobre. Des questions telles que les stratégies de présentation à Francfort ont pu être discutées de façon très fructueuse.“

Reste pourtant le fait que des auteurs comme Lambert Schlechter, Jean Portante et, surtout, Anise Koltz, ont pas mal percé en France. Reste aussi que les jeunes auteurs francographes restent assez méconnus, du fait d’une distribution en France presque inexistante, lacune que le Salon du livre ne semble pas vraiment parvenir à remédier.
Carla Lucarelli dit ne pas aimer cette méthode du „deux poids deux mesures“: „Je ne comprends pas la démarche de soutenir davantage le salon de Francfort, à moins qu’il y ait des avantages qui m’échappent.“

Nathalie Ronvaux exprime le souhait que, bien que ce ne soit pas à elle, mais aux décideurs politiques de se pencher sur la question, la présence du Luxembourg à Francfort ne soit pas un „one shot“: „J’espère que cet engagement est ancré dans une vision à long terme pour développer de manière adaptée et réfléchie une présence adaptée et réfléchie dans d’autres pays et sur d’autres salons ou festivals. En tant qu’auteur francographe, j’espère de tout cœur que les pays francophones et la France ne seront pas oubliés. J’espère aussi que les nombreuses craintes d’un repli et d’un rejet de la langue française sont infondées. Le Luxembourg est culturellement riche, on y parle et écrit plus de trois langues. C’est notre carte de visite – voilà pourquoi Francfort est un excellent début. Mais cela ne peut pas s’arrêter là.“ To be continued, donc.