Un éléphant dans la pièce: „Rabbit Hole“ est une pièce en partie poignante sur le deuil

Un éléphant dans la pièce: „Rabbit Hole“ est une pièce en partie poignante sur le deuil
Izzy (Caty Baccega) ne sait pas comment annoncer à sa soeur Becky (Colette Kieffer) qu‘elle est enceinte Photo: Ricardo Vaz Palma

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„Rabbit Hole“ de David Lindsay-Abaire débute une saison au TOL consacrée à l’enfance. Récompensée par le prix Pulitzer du drame en 2007, „Rabbit Hole“ se pose un défi – trouver le ton juste pour parler de la mort d’un fils – que la pièce ne remporte qu’à moitié. La faute en partie à un texte qui manque de nuances.

Jeff Schinker

Ça commence avec un coup de poing dans la gueule – un coup de poing non métaphorique mais bien réel puisque Izzy (Caty Baccega) raconte à sa sœur Becky (Colette Kieffer) comment elle a mis un pain à une inconnue dans un bar.

Au fur et à mesure que Becky tire les vers du nez de sa sœur Izzy, bizarrement récalcitrante à en venir au centre névralgique de son récit alors qu’elle ne paraît pas être le genre de personne à faire dans la dentelle, il s’avère que cette inconnue, c’est l’ex d’Auggie, son nouveau copain, et que cette ex en question lui a fait une scène parce qu’elle vient d’apprendre par Auggie que celui-ci aurait imprégné sa nouvelle copine.

Becky apprend donc coup sur coup, dans un récit tout en maladroites circonvolutions, que sa sœur a un nouveau copain – et qu’elle est enceinte. Si Izzy vient de prendre mille détours et autant de précautions (malhabiles certes, puisqu’elle n’a pas l’habitude à en prendre), c’est qu’elle sait que cette annonce va décontenancer Becky, qui a perdu son fils Danny, renversé par une voiture alors qu’il courait après leur chien Taz qui, lui, courait après un pigeon.

Ce dont le spectateur se sera déjà douté, toute cette scène – comme les suivantes, au cours desquelles l’on verra apparaître Howard, le mari inquiet (Jérôme Varanfrain), Nat, la mère, insupportable et délicieusement drôle (Monique Reuter) et Jason Willette, le jeune adolescent responsable de la mort du petit Danny (le jeune Romain Gelin) – se déroulant dans les quatre murs de la résidence de Becky et de Howard – une pièce intégralement décorée comme une chambre de très jeune enfant, avec un décor de safari et ses sempiternels tigres, girafes, singes et éléphants.

Le parti pris de la scénographie, signée Jeanny Kratochwil, et de la mise en scène de Véronique Fauconnet, étant précisément de matérialiser l’éléphant métaphorique dans la pièce, les scènes commencent souvent par une conversation anodine puis finissent par glisser lentement, imperceptiblement, vers le seul sujet qui préoccupe ce couple, voire la famille entière, même si certains membres de la famille commencent à s’en lasser. Une fête d’anniversaire, une soirée en couple, un déjeuner avec la (belle-)mère: tout ramène, invariablement, à la mort de Danny.

Deuil et solitude

C’est cette redondance même – cette monotonie ou cette inextricabilité thématique – qui fait à la fois la force et la faiblesse de „Rabbit Hole“.

Force puisque la douleur d’un tel deuil ne disparaît évidemment jamais (comme l’explique Nat, dont le fils Arthur est mort à trente ans d’une overdose d’héroïne, à sa fille), que tout élément du quotidien s’en trouve chargé par des non-dits et que les sujets les plus prosaïques contiennent un potentiel en tristesse. Force aussi parce que la pièce montre bien qu’aucun deuil n’est comparable – et que la mort renvoie chacun à sa solitude, à sa bulle solipsiste. Becky le reproche d’ailleurs à sa mère, qui ne cesse de comparer la mort de Danny à celle de son fils Arthur.

Au-delà de l’incongruité qu’il y a à vouloir assimiler la mort d’un junkie à celle d’un enfant de quatre ans, „Rabbit Hole“ montre aussi les limites de l’empathie, même dans le cas où deux parents perdent un enfant et devraient se trouver liés par un deuil partagé, puisque chacun développe une manière propre d’encaisser le choc: Howard croit en la thérapie de groupe, cherche à transformer la demeure en autel au fils décédé et veut refaire un enfant (ou du moins se remettre à l’exercice); Becky nie les bienfaits d’une telle thérapie, ne veut plus faire l’amour et tient à ne pas mettre sur le dos d’un autre – le conducteur de la voiture – le poids des responsabilités et du deuil.

Mais cette redondance thématique met aussi à nu certaines faiblesses de la pièce, dont l’écriture est par moment trop transparente, trop évidente – un écueil que la mise en scène ne parvient pas toujours à contrecarrer.

Si l’alchimie entre les acteurs fonctionne très bien et que certaines scènes sont excellemment rythmées et jouées – la scène où Howard se rend compte que Becky a enregistré une émission sur une vidéo d’enfance de Dany est poignante – d’autres semblent un peu maladroites car trop prévisibles ou trop typées (Howard qui met de la musique dans le but de séduire Becky, avec qui il n’a pas couché depuis des mois).

D’autres mondes que le nôtre

Si la pièce est parfois très drôle (le côté racaille d’Izzy, l’insolence et les obsessions de la mère), l’humour n’empêche pas d’autres scènes d’être un peu trop chargées en pathos, comme cette scène, certes touchante, où le jeune Jason Willette vient voir Becky, mais dont le rendement narratif est assez mince – abstraction faite d’un moment poignant.

Vers le milieu de la pièce, il sera question d’une nouvelle écrite par Jason Willette et qu’il veut dédier à Danny. Jason explique que sa nouvelle s’appuie sur la théorie des mondes parallèles*, qui veut que nous ayons tous, dans des univers parallèles, des contreparties infinies en train de mener toutes sortes d’existences autres que la nôtre.

Si Willette veut faire comprendre qu’il y a des mondes possibles dans lesquelles la tragédie de la mort de Danny n’a pas eu lieu, Becky n’en retire qu’un constat amer: en somme, dit-elle, nous ne sommes que des versions tristes de nous-mêmes. Car on a beau se mettre à imaginer d’autres mondes – cela ne change rien au fait qu’il faut endurer les événements que celui-ci nous inflige.

* En physique quantique, cette théorie fut mise sur pied par Hugh Everett III, père de Mark Everett (le chanteur du groupe Eels), pour expliquer les antinomies liées au double statut ontologique du fameux chat de Schrödinger. A chaque fois qu’on pouvait penser que le chat de Schrödinger était à la fois mort et vivant, c’était le signe le plus sûr que deux mondes parallèles s’ouvraient.

Infos: 

Rabbit Hole, par David Lindsay-Abaire.
Mise en scène au TOL par Véronique Fauconnet
Durée: 105 minutes
Prochaines représentations: le 8, 13 et 23 novembre à 19.00 h, le 9, 14, 15, 21 et 22 novembre à 20.00 h et le 10 novembre à 17.30 h