Expo Réinventer la beauté du monde: les peintres naïfs, du Douanier Rousseau à Séraphine

Expo  / Réinventer la beauté du monde: les peintres naïfs, du Douanier Rousseau à Séraphine
André Bauchant, „Bouquet pour Dina“, 1957, huile sur toile, 50 x 65 cm, collection particulière  Photo: © Jean-Alex Brunelle, © Adagp, Paris, 2019

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Le Musée Maillol présente les œuvres de nombre de peintres naïfs, collectionnés et soutenus par des amateurs influents, comme André Breton, Picasso, Kandinsky, le critique d’art Wilhem Uhde ou Dina Vierny, fondatrice du Musée Maillol. C’est tout un art délicat et audacieux, négligé par l’histoire de l’art de l’entre-deux guerres, qui nous est révélé. Un art épris de figuration, transcendant la réalité par des visions d’une grande liberté et parfois un sens obsessionnel du détail.

Dina Vierny (1919-2009), égérie de Maillol et de Matisse, issue d’une famille juive de Bessarabie, résistante, a beaucoup œuvré pour ces peintres. En les accueillant d’abord dans sa galerie, en 1947, puis au Musée Maillol/Fondation Dina Vierny, en 1995.

Autodidactes, issus du 19e siècle, éloignés des ateliers et écoles d’art, souvent d’origines modestes, ces artistes ont fait leur éducation pour la plupart en regardant des cartes postales, des revues, des images parfois éloignées du monde de l’art, comme Bauchant par exemple, qui était pépiniériste et qui semble s’être inspiré des catalogues Truffaut. Leur désir, leur nécessité de s’exprimer, leur ont fait épouser des visions d’une grande liberté. Leur peinture, en dialogue permanent avec le monde, est une œuvre à la fois authentique et poétique.

L’obsession du détail

L’exposition débute par un hommage de René Rimbert (1896-1991) au Douanier Rousseau. „Le Douanier Rousseau montant vers la gloire et entrant dans la postérité“ (1926, huile sur toile) montre bien comment le Douanier Rousseau (1844-1910) a été une figure importante pour ces artistes. Ici, le peintre s’élève dans le ciel, pour atteindre ses pairs dans les nuages, Ingres, Delacroix, Courbet, Cézanne et Renoir. La toile est délicieuse, à la fois vibrante et malicieuse.

Ensuite il y a, en hommage à Dina Vierny, le magnifique „Bouquet pour Dina“ (1957, huile sur toile) d’André Bauchant (1873-1958). Pépiniériste, retrouvant après la Première Guerre mondiale ses pépinières dévastées et sa femme devenue folle, il vivra solitairement. Malgré un destin malheureux, ses toiles éclatent de couleurs, fleurs et oiseaux occupent un espace idyllique, comme en réparation.

Les fleurs sont alignées, telles les frises qui ornaient autrefois les pages des cahiers d’écolier. Il peut arriver à Bauchant de poser derrière ses fleurs énormes, en contraste avec un décor à l’arrière-plan en rupture d’échelle, et sa silhouette, son visage, font le lien, entre le paysage, sa maison, son village natal et celles-ci. Dina Vierny a été son principal soutien.

Un tourbillon organisé

Aux fleurs de Bauchant répondent avec force celles de Séraphine Louis (1864-1942), dite Séraphine de Senlis, une salle lui est dévolue. Les tons sont soutenus, les fleurs sexuées. La force des visions de Séraphine fait s’entrelacer, au point de transformer ceux-ci également en végétal, vases et fleurs. C’est un tourbillon minutieusement organisé, essentiel, follement expressif, d’une luxuriance méthodique, le corps de Séraphine semble là, incarné par le rouge sang, les cils vibratiles des pétales, la verticalité du bouquet, mangeant pratiquement tout l’espace de la toile.

De l’obsession du détail, retenons les mers de Dominique Peyronnet (1872-1943). Vides de présence humaine, à part une œuvre où l’on peut voir une nageuse mettant son peignoir de bain, les vagues sont des monuments de précision, peignées au pinceau dans leur plus fine écume, régulières jusqu’à l’infini, le ciel y répondant par des nuages en volutes. Ce travail sans concession, follement minutieux et précis, donne la sensation d’un espace immense.

A ce vide parfaitement organisé répond la pulsion désinhibée de Camille Bombois (1883-1990), pour des nus cadrés au plus près. Il fait poser son épouse, il s’agit d’un pubis, d’une paire de fesses, le prétexte étant de faire monter la femme sur une échelle. Ses poupées sont non moins troublantes, univers sexué et fantasmé, où le rouge évoque le sang, l’acte sexuel, dans un contraste avec des corps blancs, aux volumes marmoréens. La naïveté de la peinture ajoute au trouble.

Jouer de la naïveté

Les natures mortes sont également une façon de jouer des couleurs et du détail, chacun y va de son art selon son style. Dans ces espaces dressés avec minutie s’y lisent le plus souvent une rupture d’échelle, une absence de perspective, des personnages en frise ou raides, comme chez les primitifs italiens. D’autres peintres, au contraire, comme René Rimbert dressent avec science le décor d’une ville, parfois surréaliste, vide et silencieux, aux informations précieuses quant à l’époque. Les portraits sont édifiants. Ils jouent de la tradition flamande, de la naïveté, comme d’un raccourci psychologique.

Il est émouvant de découvrir un autoportrait du Douanier Rousseau ou un portrait de sa femme, une lampe à côté de chacun des visages, ceux-ci cadrés au plus près, sans concession aucune ni désir de faire dans le beau. Le Douanier Rousseau passait son temps dans les serres botaniques pour en rapporter des jungles magiques aux animaux comme hypnotisés. Et nous le sommes à notre tour, fascinés par la végétation luxuriante. Nombre d’autres artistes éblouissent, les œuvres se côtoient avec grâce et beauté, c’est une visite douce, heureuse, un paradis terrestre, une envolée vers des univers à la fois simples et virtuoses. Ces moments sont d’une fraîcheur et d’un art ressourçants.

Info

„Du Douanier Rousseau à Séraphine – les grands maîtres naïfs“
jusqu’au 16 février 2020
Musée Maillol
61, rue de Grenelle
75007 Paris
www.museemaillol.com