„La société luxembourgeoise devient de plus en plus métisse“

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Le vendredi, le 35e Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté ouvrira ses portes à la Luxexpo. Le Tageblatt a parlé avec l’organisateur du festival.

Ce soir le 35e Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté ouvrira ses portes à la Luxexpo. Le Tageblatt a parlé avec l’organisateur du festival, Jean Philippe Ruiz, et Anita Helpiquet, qui se partagent le poste de chargé de direction du „Comité de liaison des associations d’étrangers“ (CLAE), sur les sujets d’actualité qui dominent l’évènement cette année.

De Luc Laboulle

Tageblatt: Le CLAE représente actuellement 160 associations d’étrangers dont chacune a des intérêts plus ou moins différents. Est-ce qu’il est encore possible de trouver des dénominateurs communs entre toutes ces associations?
Jean Philippe Ruiz: Un dénominateur commun est la citoyenneté du Luxembourg. Les associations avec lesquelles on travaille, démontrent qu’elles représentent des citoyens actifs. La distinction entre étrangers et Luxembourgeois n’a pas beaucoup de sens pour le CLAE. Les personnes qui sont acteurs dans ce pays s’inscrivent sur le sol luxembourgeois pour essayer d’apporter des changements qui bénéficient à l’ensemble de la société luxembourgeoise. Les propositions qu’ils font, permettent de créer de la sociabilité à travers un quartier, par exemple. Cela va au-delà de la culture d’appartenance de l’association.

Anita Helpiquet: Nous sommes très heureux quand des personnes qui viennent d’arriver, s’engagent dans des associations à travers le festival et s’inscrivent très rapidement dans la société luxembourgeoise. Faire des projets avec des communes et d’autres associations permet de créer des liens dans la société.

Le Conseil national pour étrangers (CNE) a récemment été réactivé après de graves dysfonctionnements. Est-ce que le CLAE est représenté dans ce conseil et d’après vous, quel rôle ce dernier devra-t-il jouer dans le futur?
A.H.: On peut dire que c’est un organe de la société civile comme le CLAE ou l’ASTI. Tant qu’il y a ces organes, tant mieux. Il faut multiplier les points de vues. On n’est pas porteur d’un seul discours à travers l’immigration.

J.P.R.: Tout dépend des personnes qui vont animer ce CNE. S’il y a une volonté politique que cette instance ait de l’importance, alors elle va fonctionner. Il y a plein de personnes qui sont membres du CLAE à travers les associations qui font partie du CNE. On y a été représenté pendant des années. Ça peut être une chambre d’échos de ce qui se passe, mais tout dépend de ce que les uns et les autres veulent en faire.

La campagne électorale pour les législatives est dominée par le thème de la croissance qui vise surtout les immigrants et les frontaliers. Quelle est la position du CLAE dans ce discours?
A.H.: On a une disjonction entre l’espace national et le bassin d’emploi. Tout le monde ne parle pas la même langue et cela crée des frottements. C’est pareil pour la Suisse.

J.P.R.: J’ai l’impression que dans le débat qui domine, ce n’est pas tellement le débat qui est important mais les personnes qui le portent. Je crois qu’il est plutôt lié au leadership qui se joue en ce moment au Luxembourg. Si on parle de la croissance, c’est peut être qu’il y a des personnes qui ont des liens avec l’économie et qui essaient de se profiler, par exemple pour être premier ministre.

D’après les chiffres du gouvernement, en 2017 les Français ont dépassé les Portugais parmi les immigrés provenants de l’Union européenne. Comment expliquez-vous cette évolution?
A.H.: Il y a plein de réalités qui se cachent derrière la nationalité. Quand on parle de Portugais, la réalité n’est pas portugo-portugaise. A travers une immigration, il y a plein de gens qui sont originaires d’autres pays et d’autres cultures. Dire que le nombre de Français augmente, n’est pas plus anxiogène qu’autre chose.

Non, mais derrière ces chiffres se cache peut-être un phénomène social …

J.P.R.: Il y a beaucoup de frontaliers qui choisissent à un moment ou un autre de s’installer au Luxembourg. C’est sûr que la vie en Lorraine n’est pas si facile au niveau du boulot.
Pourtant l’immigration portugaise continue d’être forte. Les réseaux de relations existants font que les gens viennent. Mais peut-être il y a aussi de plus en plus de Portugais qui prennent la nationalité luxembourgeoise et ne sont donc plus comptabilisés du côté portugais. Avec la nouvelle loi, il y a de plus en plus d’étrangers qui deviennent luxembourgeois et du coup la comptabilisation des nationalités a un peu moins de sens.

A.H.: Derrière les Portugais il y a beaucoup de personnes luso-guinéennes, angolaises, capverdiennes tout comme derrière les Français il y a beaucoup de personnes d’origine maghrébine. On le voit très bien à travers les mouvements associatifs que les gens viennent du côté de la Vallée de la Fensch ou d’un peu plus loin et finalement ce sont des familles qui étaient originairement de la Tunisie, du Maroc ou de la Turquie.

J.P.R.: Si on compte tous les Portugais qui sont français et qui viennent s’installer ici, on ne sait plus s’il y a plus de Français ou plus de Portugais. Du coup on n’arrive plus à compter (rire). C’est intéressant de questionner ce genre de chiffres. La société luxembourgeoise devient de plus en plus métisse. Il y a quelques années, on n’osait même pas le dire. La société luxembourgeoise se métisse depuis toujours, le festival le montre. Mais ce n’est que maintenant qu’elle commence à le reconnaître. Et c’est ça qui fait peur.

Une étude récente du Cefis a constaté des inégalités importantes par rapport à la communauté capverdienne au Luxembourg. Comment pourrait-on éliminer ces inégalités?
J.P.R.: Je n’ai pas lu cette étude mais j’imagine que les inégalités viennent du fait qu’ils sont noirs. Avec les boxeurs congolais engagés par des Luxembourgeois qui se faisaient de l’argent sur leur dos, les Capverdiens étaient les premiers Noirs qui sont arrivés dans les années soixante au Luxembourg. Les gens en avaient un peu peur. C’est comme en France avec les gens noirs ou arabes. Il y a là une discrimination, qu’on le veuille ou pas. Aussi du fait que l’immigration soit populaire et ouvrière, il faut attendre une ou deux générations avant que les gens passent le seuil de ne pas reproduire le statut social de leurs parents.

A.H.: En plus de ça, beaucoup de Capverdiens qui sont nés au Portugal sont arrivés suite à la crise financière de 2008. Beaucoup de ces gens-là sont passés par les universités. On constate une grande évolution parmi les immigrants capverdiens. Le mouvement associatif est très fort et il met l’accent sur la réussite scolaire des enfants.

J.P.R.: Je voudrais souligner aussi l’aspect extrêmement positif de l’immigration capverdienne. J’ai remarqué que parmi les enfants, ce sont les Capverdiens qui parlent le mieux le luxembourgeois.

Depuis 2015 beaucoup de demandeurs de protection internationale viennent en provenance du Moyen-Orient et de l’Afrique. Des problèmes se posent surtout au niveau du logement et de l’emploi. Est-ce que le CLAE propose une aide à ces groupes vulnérables?
A.H.: Ça fait longtemps qu’on travaille avec les Erythréens, les Syriens et les Irakiens. On a deux projets au CLAE qui sont plus ciblés aux besoins des demandeurs et bénéficiaires de protection internationale. Les Erythréens et les Afghans se sont très rapidement constitués en asbl. Pour les Syriens et Irakiens c’est un peu moins solide pour le moment. On a beaucoup de personnes qui suivent nos cours de français, mais il n’y a pas que des réfugiés dans ces cours. Le programme intitulé „insitu jobs“ permet aux personnes qui ont le statut de réfugié d’avoir un appui pour s’insérer sur le marché du travail. L’autre projet s’appelle @Gasperich. Il permet de travailler avec des personnes qui ont des difficultés avec l’ordinateur et les technologies de la communication et de l’information.
Pourtant on aimerait préciser que toutes ces personnes, même si elles ont des problèmes, ne constituent en elles-mêmes pas un problème. Bien sûr, l’accès au logement, à l’école et au marché du travail est toujours plus difficile pour les migrants. Mais ce n’est pas parce qu’on a des difficultés d’accès, qu’on devient un problème social.

J.P.R.: Concernant la question du logement, le CLAE ne souhaite pas distinguer entre les demandeurs d’asile et la population en général. Le problème du logement traverse toute la société luxembourgeoise. Il faut que le logement social soit réellement pris en charge par les politiciens.
Sur la question de l’intégration, je trouve que l’inscription dans la société se fait très rapidement pour les Syriens, les Erythréens et les Afghans, plus que pour toute autre communauté.

Au niveau de l’intégration il y a deux acteurs principaux qui sont l’OLAI et le ministère de l’Education nationale. Quelles sont vos relations avec ces institutions?
J.P.R.: On est conventionné avec l’OLAI depuis des années. C’est un acteur avec qui on discute, avec qui on argumente, avec qui on négocie. On a une relation de partenaires à peu près „saine“.
Avec le ministère de l’Education nationale on organise des cours de français. Il y a donc là aussi un partenariat. Ce qui ne veut pas dire qu’on est forcément toujours d’accord les uns avec les autres, mais ça fait partie de ce jeu „habituel“, où on essaie de convaincre et de développer des idées. Et il me semble qu’au fil des années, il y a peut-être des choses qui ont été entendues par l’OLAI concernant des projets du CLAE.

A.H.: On peut critiquer le gouvernement, mais en 2015 il s’est réveillé en disant qu’il y a une „crise“ liée à l’asile. Mais ça faisait des années que l’inscription des personnes liées à l’asile et à l’immigration en général était délaissée. Et on ne peut pas régler, en quelques années, des problèmes qui ont été délaissés pendant des décennies. Ces problèmes ne préoccupaient pas la classe politique avant 2015.

Par exemple dans le cadre de la réforme de la loi du RMG, on aurait pu définir les termes de la communauté domestique et du budget commun, dans le sens que les bénéficiaires du revenu minimum garanti puissent former des colocations.

A.H.: Oui, c’est vrai. Cette question est très souvent soulevée à travers des structures comme le „Lëtzebuerger Flüchtlingsrot“ ou le „Ronnen Dësch“. Cela aurait permis à certaines personnes de vivre en colocation, tout en pouvant bénéficier du RMG. Là on est dans une situation, où la personne doit choisir entre le RMG et avoir un toit. Mais de manière générale c’est quelque chose qui s’applique à l’ensemble de la population.
J.P.R.: Il faudrait réellement étudier en profondeur pourquoi le logement dans ce pays a toujours été mis „sur la touche“.

Dans beaucoup de pays de l’Union européenne, on observe depuis quelques années une montée de l’extrême droite. Comment jugez-vous la situation au Luxembourg?
A.H.: La situation au Luxembourg est peut-être moins grave qu’ailleurs. On dit toujours qu’ils circulent surtout dans les réseaux sociaux. Mais c’est un peu réducteur. On balance notre haine dans les réseaux sociaux et puis on s’arrête là. Le Luxembourg n’a pas ce passé de colonies. La relation avec l’autre est donc parfois plus simple, même si toutes les questions se cristallisent au niveau de la langue luxembourgeoise. Mais il y a beaucoup de personnes issues de l’immigration qui se sentent plus libres au Luxembourg que dans d’autres pays en Europe, notamment en France, où la question est un peu lourde à porter. On reste au Luxembourg quand même plus accepté que dans d’autres pays.

J.P.R.: C’est peut-être aussi lié aux partis politiques. Comme ici, tout le monde peut faire des coalitions avec tout le monde, on a l’impression qu’il n’y a pas de place pour un discours excluant ou plus radical. Dans d’autres pays, où les oppositions étaient complètement tranchées entre les gens de gauche et les gens de droite, il y a peut-être de la place pour des discours complètement à gauche et complètement à droite.

Ce discours, est-il peut-être mené de façon plus „cachée“ au Luxembourg que dans d’autres pays?
A.H.: En dehors du discours politique il y a aussi cette relation qu’on a tous les jours avec les gens dans la rue qui fait que, si on est issu de l’immigration, c’est plus facile de l’être au Luxembourg que dans d’autres pays.

J.P.R.: C’est sûr que le discours excluant on l’entend aussi au quotidien, mais en France c’est pareil. Après, pour le CLAE, au-delà du discours, ce sont les actes qui peuvent être intéressants. Parfois il faut nuancer au quotidien entre les gens qui ont un discours qui peut paraître excluant, mais qui après sont prêts à donner un coup de main au voisin portugais ou capverdien. Et pourtant il a un discours a priori excluant. Parfois nous sommes attentifs à cette distinction qu’il y a entre le discours et les actes.


Le Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté jusqu’à dimanche à la Luxexpo

Le Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté, le Salon du livre et des cultures et Artsmanif (Programme) – Rencontres des cultures et des arts contemporains, organisés par le CLAE, accompagnent depuis de nombreuses années les dynamiques associatives, donnent à entendre, à regarder et à comprendre le Luxembourg qui fait monde. Autour de rencontres, musiques, gastronomies, littératures, arts, débats, conférences, de multiples expressions culturelles et sociales se retrouvent, se croisent et alimentent les références de tous ceux qui façonnent le Luxembourg.

Cette 35e édition, qui se tiendra d’aujourd’hui à dimanche, présentera plus de 400 stands à la Luxexpo.

Plus de 35 rencontres littéraires, de nombreux débats, mais aussi gastronomie, chants et danses du monde, animations pour enfants ponctueront ce week-end qui contribue chaque année à la construction d’une nouvelle citoyenneté au Luxembourg. La scène du Festival accueillera cette année deux groupes basés au Luxembourg. Aujourd’hui, c’est une promenade dans la culture musicale du Brésil et du monde que propose le groupe A Trupe et ses musiciens Zeka Moreira, Gui Moreira, Gregório Entringer et Gustavo Morales.
Demain, la complexité des sons cubains sera mise en lumière avec le groupe Salsa Cubana. Fondé en 2016, l’orchestre Salsa Cubana cultive les différents rythmes de la musique cubaine, des plus traditionnels au plus modernes: guaracha, bolero, chachachá, rumba. Cette formation de dix artistes, musiciens et chanteurs, riches de leurs cultures diverses, invite à la danse, la fête et aux rencontres.

L’entrée est libre.