L’histoire du temps présent: Les espoirs déçus de la Libération

L’histoire du temps présent: Les espoirs déçus de la Libération
A la Libération, les jeunes Luxembourgeois rêvaient de renouveau. Ceux-ci venaient d’adhérer aux „Hawks“ (les Faucons), une organisation décrite comme similaire aux scouts. Photo de l’US Signal Corps, une unité de transmission de l’armée américaine, prise peu après la libération de la ville de Luxembourg, le 12 septembre 1944.

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Il y a 75 ans, les Américains libéraient le pays. Au bout de quatre ans, le pouvoir nazi était enfin abattu. Tout était à reconstruire, tout était désormais possible. Beaucoup de Luxembourgeois ne se comptaient pas se satisfaire d’une restauration de l’Ancien régime. C’était en particulier le cas des plus jeunes, qui avaient vu le monde de leurs aînés s’écrouler. Présents massivement dans la résistance, leurs espoirs furent pour la plupart déçus.

De Vincent Artuso

Il y a quelques années, une amie m’avait raconté comment son grand-père avait vécu l’occupation et la libération. Le 10 mai 1940, quand les Allemands ont envahi et occupé le pays, il sortait à peine de l’enfance. Cet événement l’a précipité dans l’âge adulte. Ce garçon de bonne famille, issue d’un milieu plutôt conservateur, apprit rapidement à mépriser ces professeurs qui relayaient la propagande nazie. Il devint impertinent, cela lui valut d’être exclu du lycée.

Un insoumis

En 1943 ou 44, il fut enrôlé de force dans la Wehrmacht. Comme beaucoup de jeunes Luxembourgeois il fit l’expérience du front de l’Est, quelques mois durant. Ensuite il déserta, se cacha un certain temps avant de rejoindre le maquis, en Belgique. Pendant l’offensive des Ardennes, les Américains le recrutèrent comme interprète et il les suivit jusqu’en Allemagne.

Une fois la guerre finie, il avait à un peu plus de 20 ans et toujours pas d’examen de fin d’études. Alors il est retourné à l’école où il a retrouvé les mêmes professeurs qu’il avait quittés quelques années auparavant. Ce n’étaient pas forcément des salauds de nazis. Tous n’étaient pas non plus des lâches. C’étaient des gens d’âge mûr avec une situation, une famille, quelque chose à perdre. Par rapport à leur élève, ils n’avaient rien vécu, ils avaient survécu. Ils n’avaient plus rien à lui dire.

Le grand-père de mon amie a fini par décrocher son diplôme. Toute sa vie durant il a ensuite essayé de se fondre dans le moule. C’était un insoumis dans une société qui n’avait plus d’utilité pour cette vertu particulière. Son destin illustre, de manière bien sûr très condensée, ce qu’a vécu sa génération.

La fin de l’ancien monde

Les jeunes filles et les jeunes garçons de l’occupation ont vu le monde de leur enfance s’effondrer, leurs aînés être humiliés, les valeurs qu’on leur avait inculquées être balayées. Presque toutes les autorités qu’on leur avait appris à respecter, à craindre et à obéir étaient discréditées.

La tête de l’Etat? La Grande-Duchesse conservait une aura presque mystique. Ses ministres en revanche, accusés d’avoir abandonné le pays, étaient très impopulaires. Les partis et les syndicats dans lesquels ils avaient construit leur pouvoir n’existaient plus. Les administrations avaient été mises au pas par les Allemands, les fonctionnaires, les magistrats, les policiers, les enseignants avaient adhéré à la VdB. Et tandis que l’évêque se retirait dans un exil intérieur, l’industrie sidérurgique continuait à produire pour le Reich.
Le régime nazi voulait transformer la société; gratter les couches de vernis démocratique, francophile, séparatiste, catholique qui, selon leur idéologie, avaient été appliquées à chaque Luxembourgeois, pour mettre à jour ce fier Aryen qui sommeillait en lui et le remettre sur le droit chemin du national-socialisme.

Blitzkrieg sur les jeunes esprits

L’administration civile allemande pensait que ce projet aurait le plus de chances d’aboutir parmi la jeunesse déboussolée. Les vieux étaient de toute façon irrécupérables. C’était d’ailleurs aussi cette logique qui mena à la politique de déportation des familles de réfractaires. Malgré tout, ils étaient porteurs de précieux sang allemand. Ils ne devaient donc pas être punis comme de vulgaires non-Aryens, mais réinstallés dans les profondeurs du Reich. Engloutis dans un océan de germanité, ils seraient assimilés au bout d’une génération.

Pour conquérir les esprits jeunes et malléables, les nazis commencèrent par nazifier le système scolaire. Ensuite, il s’emparèrent aussi des loisirs. Toutes les organisations de jeunesse furent déclarées hors-la-loi et une très forte pression fut exercée sur les parents pour qu’ils inscrivent leurs enfants dans les Jeunesses hitlériennes. Ceux qui refusaient pouvaient tirer un trait sur leurs espoirs de voir un jour leurs rejetons faire des études.

La résistance, un mouvement de jeunesse

Est-ce que les nazis sont arrivés à leurs fins? Dur à dire, le sujet n’a jamais été vraiment étudié. Est-il alors plus efficace de renverser la question? Il semblerait en tout cas que la moyenne d’âge des résistants était plutôt basse. Dans les années 1980, l’historien Lucien Blau avait avancé que, au moment de l’invasion, la moitié des résistants avait moins de 26 ans. 5% avaient même moins de 16 ans, aucun n’avait plus de 60 ans.

La résistance fut donc en grande partie un mouvement de jeunesse. On pourrait l’expliquer par le fait que les jeunes sont plus fougueux, plus enclins à l’idéalisme, moins conscients de leur mortalité aussi. Une autre raison est peut-être liée à une autre caractéristique de la résistance: elle fut un mouvement de libération nationale.

Les jeunes qui se sont engagés dans ses rangs, nés pendant ou après la Première guerre mondiale, avaient grandi dans un contexte de maturation du nationalisme. Contrairement à leurs aînés, ils pensaient que l’existence d’un Etat-nation luxembourgeois était une évidence.

Les aspirations de la résistance

Un autre point déterminant différenciait cette génération des précédentes. Contrairement à leurs aînés, arrivés à l’âge adulte dans un pays souverain et neutre, les jeunes hommes de l’occupation avaient reçu une instruction militaire. Beaucoup avaient même l’expérience du combat. A la Libération, ils rejoignirent la Miliz, l’organisation paramilitaire de l’Unio’n. En l’absence du gouvernement, ce sont eux qui, aux côté de l’armée américaine, assumèrent le maintien de l’ordre.

Au mois d’octobre, l’organisation unitaire de la résistance luxembourgeoise se dota de son propre journal, „D’Unio’n“, et commença à exposer son programme et ses idées. L’Unio’n et ses jeunes membres, avec leur prestige et leur pouvoir effectif, espéraient réformer le pays dans un sens nationaliste, corporatiste et socialiste.

Mais avant cela, les résistants estimaient qu’il fallait épurer le pays. Et par cela, ils n’entendaient pas seulement une action judiciaire contre les nazis notoires et les traîtres avérés. Ils voulaient une purification du corps social qui devait passer par une mise à l’écart de ceux qu’ils jugeaient faibles et opportunistes, tous ces hommes mûrs qui étaient restés à leurs postes dans les ministères, les écoles ou les entreprises, lorsque les nazis y donnaient leurs ordres.

Comme si rien ne s’était passé

Tel fut aussi l’ambiance de la Libération. A l’automne, le gouvernement rentra d’exil et trouva rapidement des appuis auprès des fonctionnaires et des maîtres de forge qui commençaient à voir d’un mauvais œil l’agitation d’une jeunesse exaltée et insolente. En hiver, les Allemands lancèrent une dernière contre-offensive qui ravagea le tiers nord du pays.

Quand la guerre fut réellement terminée, les adultes estimèrent qu’il était temps de reprendre les choses en main. Les résistants furent renvoyés chez eux avec des médailles. Quelques-uns, ceux qui acceptaient de jouer le jeu, firent de belles carrières. Les autres observèrent le vieux monde être restauré comme si rien ne s’était passé.