La carotte ou le bâtonComment changer durablement?

La carotte ou le bâton / Comment changer durablement?

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Alors que les consommateurs sont convaincus de la nécessité de changer de comportement, ils ne le font pas. Et si la solution passait par l’action politique?

Suffit-il d’informer les citoyens puis d’attendre que, devenus consommateurs, ils fassent le bon choix? La réponse est négative et lourde de conséquences. L’information a le défaut de ne pas tenir compte des inégalités dans l’accès à l’information. La récente étude de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) consacrée à l’obésité a souligné que celle-ci était bien plus fréquente dans les couches de la population moins aisées, au capital culturel moins élevé.

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Mais l’observation des manières de consommer montre que l’information n’est pas beaucoup plus efficace avec les personnes capables de s’informer quand il s’agit de consommer durablement. Or, le défi climatique impose une action rapide mais surtout efficace. La consommation des ménages est un levier important pour pouvoir limiter le réchauffement.

Soulager le consommateur

„Halte à la morale écologique“, lance avec le sens de la formule, Michael Kopatz. Le scientifique allemand du „Wuppertal Institut für Klima, Umwelt, Energie“ a décidé de prendre son bâton de pèlerin et d’alerter par des livres et des conférences sur la raison profonde des écarts entre les convictions des citoyens et leur comportement. Elle éclaire les résultats d’une étude de l’Umweltbundesamt allemand, constatant par exemple que 90% des citoyens sont prêts à payer plus cher leur viande pour favoriser un élevage durable mais que seulement 2% le font. Ou encore que 90% des citoyens trouvent que la protection du climat est très importante mais qu’une infime partie d’entre eux veulent remettre en cause leurs usages de l’avion.

Là où d’autres concluraient cyniquement à l’hypocrisie des convictions, Michael Kopatz s’intéresse à l’inefficacité de l’action. Invité par une douzaine d’ONG le 31 octobre, sa conférence, intitulée comme son dernier livre „Schluss mit der Ökomoral – wie wir die Welt retten, ohne ständig daran zu denken“, est drôle et efficace.

Vivre avec des contradictions

L’expert sait conter avec humour les multiples situations contradictoires que vivent les consommateurs. Une connaissance aime un animal comme un être humain mais achète la viande la moins chère. Son collègue dit ne pas avoir eu d’argent pour installer des panneaux solaires sur sa propre maison, mais en a eu pour installer une cuisine démesurément confortable. „Si on arrive aussi bien à vivre avec de telles contradictions, comment des brochures pourraient réussir à changer ce comportement“, dit-il.

La plupart de ces décisions peuvent s’expliquer par le manque de rationalité de l’être humain et par un environnement, publicitaire et productif, qui les encourage. C’est donc la routine qu’il faut changer, pour la rendre écologique. Pour cela, il faut changer le cadre, améliorer la production plutôt que d’informer le consommateur vers laquelle aller par exemple. „C’est le devoir des politiques de libérer le citoyen de la charge mentale de toujours devoir prendre la bonne décision“, somme-t-il.

L’exemple du tabac

La politique peut s’avérer redoutable d’efficacité. Un exemple démontre que quand l’Etat veut, le citoyen peut: la lutte contre le tabac. Michael Kopatz se rappelle que quand il était jeune, il était normal que des parents fument à l’avant, malgré les enfants assis à l’arrière. „Aujourd’hui c’est presque vu comme des blessures corporelles. Et ce n’est pas venu tout seul“, observe-t-il. Il a fallu utiliser des outils économiques (augmentation du prix), la sensibilisation (faire des campagnes choc) et réguler (en interdisant la publicité) pour que, petit à petit, le renoncement au tabac devienne „un phénomène socio-culturel“.

De même, l’efficacité énergétique des bâtiments a été peu à peu amélioré par une succession de règlements de telle sorte que les maisons seront neutres à partir de 2021. Même si ce progrès a été contrecarré par l’augmentation de la surface d’habitation par habitant, il prouve la nécessité d’une action collective contraignante. Le consommateur, l’entreprise, sont prêts à bouger si tout le monde bouge.

La nécessité d’une action collective contraignante

Ce serait par exemple le cas pour l’agriculture biologique, qu’on pourrait décider de généraliser en 20 ans, étape par étape. Idem pour les émissions de CO2 des voitures. Et, parfois, la politique consiste même à ne rien faire. Pour limiter le trafic aérien, le gouvernement n’a qu’à décider de ne pas permettre de nouveaux slots ni la construction de nouveaux terminaux. De même, renoncer à de nouvelles routes, c’est renoncer à une hausse du trafic.

En déplaçant le problème vers le monde politique plutôt que vers le citoyen, appelé à s’engager, Michael Kopatz met le doigt sur un sujet de fracture au sein de la gauche. Présent dans la salle, le député „déi Lénk“ Marc Baum est en phase avec le discours de l’expert: „On individualise le problème, alors que c’est un problème collectif.“ Il constate qu’un tel interventionnisme se voit opposer à la fois un discours droitier qui crie à la prohibition, alors que toute loi a un caractère prohibitif et qu’il divise le mouvement écologiste qui „a tendance à individualiser les responsabilités“. Son parti, au profil éco-socialiste toujours plus affirmé, étoffe les rangs de ceux qu’ils pensent qu’il faut agir sur la production pour agir sur la consommation.

Coups de pouce verts

Les propositions de Michael Kopatz constituent un mélange entre des interventions fortes de l’Etat et une multitude d’incitations, qu’en d’autres endroits, l’économie comportementale baptise „nudges“ (de l’anglais „coup de coude“), qui consiste à changer les comportements en apportant des suggestions dans l’environnement, en modifiant „l’architecture des choix“, sans rien changer à leur nombre.

Ces solutions intéressent les gouvernements parce qu’elles ne les exposent pas aux reproches d’entamer les libertés, en laissant la possibilité – sinon l’illusion – du choix. Les nudges veulent produire le comportement qu’aurait un consommateur s’il était parfaitement informé, avait le contrôle sur lui-même et pensait à long terme. Ils peuvent être visibles ou alors s’imposer au consommateur sans qu’il en ait conscience, comme le réglage par défaut d’une imprimante sur les copies recto verso. Ils viennent en complément des stratégies plus classiques qu’elles recoupent parfois. Ainsi, le nudge consistant à informer le consommateur, par un indice de réparabilité, pour qu’il achète des objets plus durables.

La possibilité du choix

Ces mesures sont considérées comme compléments aux lois et interdictions, qui seraient davantage réservées pour les menaces sanitaires et environnementales directes, selon la vision d’une étude sur l’efficacité des nudges publiée en 2017 à la demande du gouvernement allemand par l’Umweltbundesamt.

La France aussi s’intéresse à ces nouvelles manières d’influencer les comportements. „Les attitudes de consommation sont motivées par d’autres objectifs que la protection de l’environnement (la satisfaction des besoins, mais aussi l’affirmation sociale) et soumises à des contraintes (économiques) … Par ailleurs, les consommateurs ne savent pas toujours en quoi consiste, concrètement, une consommation plus respectueuse de l’environnement, plus durable“, dit une étude menée en 2016 par La fabrique écologique, en passant en revue les plus efficaces, comme les escaliers-pianos de Stockholm à la green card en Corée.