Cannes, le logbook: FOMO – Vivre ou écrire?

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„On ne pouvait pas tout faire en même temps, surtout des choses aussi opposées que vivre et écrire“, écrit Arthur Larrue dans son métaroman déjanté „Orlov la nuit“. „Ecrire revenant sinon à mourir, du moins à s’abstenir de vivre“, continue son narrateur omniscient.
Vivre revenant à refuser d’écrire, à être à ce point lancé dans l’action comme dans une vague d’au moins trois mètre cinquante où l’idée même de s’arrêter serait contre-nature voire vous épuiserait, vous mènerait au fond, vous briserait le dos et vous noierait. „Proust avait trouvé une solution assez risquée (il aurait pu mourir avant), qui consistait à d’abord vivre, puis écrire sa recherche (imaginez que Rimbaud ait attendu d’avoir vécu, on n’aurait rien eu, la poésie française s’en serait trouvée bien appauvrie). Pour le journaliste culturel qui est en déplacement pour un festival, le dilemme est entier, surtout quand il s’agit d’un journaliste atteint comme moi de FOMO.

Le FOMO, la peur de rater quelque chose („Fear Of Missing Out“), est une maladie contemporaine qui n’a pas lieu d’être au Luxembourg, où on n’a qu’assez rarement l’impression de rater quelque chose puisqu’en général, on peut, par exemple, quand on est bien organisé, se taper quasiment toute l’actualité culturelle qui nous intéresse (pour ce qui est des sorties nocturnes, suffit d’aller au Gudde Wëllen, c’est tout l’avantage d’avoir exactement un bar qui vaut le coup une fois que les bobos font dodo).

Or, au festival, le choix est énorme, donnant au journaliste qui veut bien faire les choix suivants: (1) se couper en quatre (malgré les recherches en physique quantique, ça n’est pas encore possible), (2) faire des choix (ce qui en revient à éliminer des films et à ne pas voir des débats), bref à faire une croix sur un désir de complétude presque pathologique chez moi, (3) écrire en toute vitesse, à la va-vite, apprendre à structurer et à ciseler sa pensée pour que toute phrase écrite passe immédiatement du statut d’esquisse à celui de phrase imprimable, (4) ne pas dormir (ou alors dormir très peu), (5) écrire partout, entre deux morceaux de burger ou d’un sandwich presque arraché aux mains du boulanger, dans le train, dans le bus, dans le chaos de la petite ville de Cannes investi par des cinéastes, cinéphiles et hipsters du coin, (6) essayer (c’est devenu un peu possible grâce au smartphone) de vivre et d’écrire en même temps. Souvent, on se débrouille de faire un peu tout ça à la fois – et ce afin de pouvoir retourner au plus vite dans la vie réelle.

Ce qui, à Cannes, se traduit par un retour dans les salles obscures. Car vivre, au festival, c’est aussi, mais c’est là un autre sujet, abandonner la domination du réel pour plonger dans un monde pétri d’art et de fiction.