Au pays des morts vivants

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En 1945, le gouvernement entendait probablement expulser les collaborateurs vers l’Allemagne, après les avoir déchus de la nationalité luxembourgeoise. Mais le plan échoua. Si bien que quatre ans plus tard, il existait encore dans le pays plusieurs milliers d’apatrides. Ces parias héréditaires étaient maintenus dans un état de „mort civile“.

De Vincent Artuso

En 1949, Léon Welter publiait dans son livre „Mélanges de Droit luxembourgeois“ un réquisitoire contre l’Epuration pénale. L’avocat et ancien député socialiste dénonçait la manière dont la justice avait traité les anciens collaborateurs, critiquant aussi bien les lois de circonstance, qui constituaient à ses yeux une régression juridique et morale, que l’atmosphère de „vengeance nationale“ qui avait pesé sur les tribunaux.

Welter rappelait aussi que des milliers de Luxembourgeois de naissance – ainsi que leurs conjoints et leurs enfants – avaient été déchus de leur nationalité et étaient devenus apatrides. Cela était contraire à la Déclaration universelle des droits de l’homme, que le Grand-Duché avait ratifiée l’année précédente. L’existence d’une minorité d’exclus, en ce début de Guerre froide, était de surcroît dangereuse pour la stabilité et la sécurité de la nation. Près de cinq ans après la libération, les fractures ouvertes par la guerre n’en finissaient pas de tourmenter la société luxembourgeoise.

Des Luxembourgeois pro-allemands

Une partie non négligeable de la population avait soutenu la politique de germanisation et de nazification de l’occupant allemand. Pour donner quelques ordres de grandeur, environ 9.000 Luxembourgeois avaient adhéré volontairement à la Volksdeutsche Bewegung ; 4.000 autres avaient, selon l’historien Claude Wey, été membres de la section luxembourgeoise du parti nazi; près de 10.000 avaient préféré quitter le territoire avec les derniers occupants, en septembre 1944. Pour rappel, le pays comptait 290.000 habitants en 1940 (dont 15% d’étrangers).

Avec les membres de leurs familles les pro-allemands formaient ainsi une minorité substantielle. Sans eux, le Gauleiter Gustav Simon aurait eu bien plus de mal à accomplir sa tâche. L’administration civile allemande, dont il était le chef, n’était pas un appareil tentaculaire. Il s’agissait pour l’essentiel de l’administration d’avant-guerre. Seuls les postes stratégiques avaient été confiés à des Allemands. Ceux-ci étaient peu nombreux et n’avaient pas forcément de contact avec la population. Un lourd handicap pour un pouvoir totalitaire.

Les Luxembourgeois pro-allemands avaient donc joué un rôle essentiel. C’étaient eux qui diffusaient la propagande et les exigences du régime vers le bas et faisaient remonter les informations sur l’attitude de leurs concitoyens vers le haut. A partir de 1943, ils avaient siégé dans les commissions chargées de désigner les familles de réfractaires à déporter. En 1944, ils avaient été progressivement armés – parce qu’il n’y avait plus assez de policiers et de soldats allemands pour maintenir l’ordre mais aussi pour qu’ils puissent se défendre contre leurs voisins. Le pays était dans un état de guerre civile latente.

De l’épuration sauvage à l’épuration pénale

Dans les jours suivant la libération, les pro-allemands qui n’avaient pas fui vers le Reich subirent de plein fouet les représailles de leurs concitoyens. Certains furent contraints de défiler dans les rues sous les crachats et les insultes, des femmes furent tondues. Il y eut aussi des exécutions sommaires dont le nombre exact n’a jamais été établi. Le caractère sauvage de cette première phase de l’épuration ne fut contenu que par l’intervention de l’Unio’n. Née le 23 mars 1944 de la fusion des trois principales organisations de résistance, ce mouvement comptait de 12 à 15.000 membres et disposait d’une force paramilitaire, la Miliz. Cela lui permit de s’arroger certains droits régaliens dont les pouvoirs de police et de justice.

Jusqu’à la mi-octobre, l’Unio’n arrêta et interna quelque 3.500 collaborateurs présumés. Le gouvernement qui était entre-temps revenu au Luxembourg essaya alors de reprendre l’épuration en main. Depuis l’exil, il avait déjà promulgué une série d’arrêtés grand-ducaux, sur la base des pleins-pouvoirs de 1938-1939.

Le premier d’entre eux, l’„Arrêté grand-ducal du 14 juillet 1943 modifiant les dispositions du Code pénal concernant les crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’Etat“ visait les faits d’espionnage, l’enrôlement volontaire dans les forces armées du Reich et la collaboration à l’entreprise allemande d’annexion du Luxembourg.

Les dispositions de cet arrêté étaient rendues rétroactives au 10 mai 1940 (jour de l’invasion) par l’arrêté grand-ducal du 2 mars 1945. Des milliers de personnes furent ainsi poursuivies sur la base d’une loi qui n’existait pas encore au moment où ils étaient suspectés d’avoir commis les crimes ou délits qu’elle était censée punir. Il s’agissait là, selon Léon Welter, d’une grave atteinte à l’un des fondements de l’Etat de droit.
L’arrêté du 4 mai 1945 introduisait par ailleurs la déchéance de nationalité „pour tous les jugements à un emprisonnement de deux ans au moins du chef d’infraction contre la sûreté extérieure de l’Etat“. Il s’appliquait aussi bien aux étrangers qui avaient acquis la nationalité qu’aux Luxembourgeois de naissance.

Expulser les collaborateurs vers l’Allemagne?

Cette surenchère répressive avait eu lieu, avant même la fin de la guerre, dans une atmosphère d’extrême tension. Le gouvernement, plutôt impopulaire et en plein bras-de-fer avec l’Unio’n, cherchait vraisemblablement à restaurer son autorité. Il est aussi probable qu’il comptait régler la question de l’épuration en expulsant vers l’Allemagne les collaborateurs les plus durement condamnés. Un certain nombre de pro-allemands, notamment les volontaires de guerre et les membres du parti nazi, avaient en effet obtenu la nationalité allemande en 1942. Seulement, dès le 24 juillet 1945, un rapport du ministère de la Justice soulignait l’impossibilité de réaliser ce plan:
„L’adhésion à l’NSDAP n’entraîne pas de plein droit la perte de la nationalité luxembourgeoise. En effet, l’acquisition de la nationalité allemande par les activistes pro-allemands n’ayant pas eu lieu par la suite d’une manifestation volontaire tendant à acquérir cette nationalité, mais plutôt […] par l’effet d’une loi, l’art. 25 de la loi du 9 mars 1940 concernant la perte de la qualité de Luxembourgeois ne leur est pas applicable. D’autre part comme l’ordonnance du CDZ du 30 août 1942 est nulle et de nul effet conformément à l’art. 1, al. 2 de l’arrêté grand-ducal du 13.7.44, les Luxembourgeois membres de l’NSDAP sont à considérer comme n’ayant jamais acquis de nationalité étrangère. La question du retrait de la nationalité luxembourgeoise par voie judiciaire ou administrative pose le problème épineux de l’apatridie, alors qu’il est à prévoir qu’aucun Etat, pas même l’Allemagne, ne consentira à recevoir sur son territoire les anciens collaborateurs.“

Oublier pour rester unis

Le rapport fut classé, la mesure appliquée malgré tout. Au total 1.335 collaborateurs, dont 986 Luxembourgeois de naissance, furent déchus de la nationalité, comme l’a établi récemment Hippolyte Weiland dans un mémoire de Master réalisé à l’Université du Luxembourg. En réalité la mesure frappa même bien plus de monde. En concordance avec la loi sur la nationalité alors en vigueur, les conjoints et les enfants des déchus devenaient automatiquement des apatrides. Leurs descendants à naître étaient promis au même sort.
Plusieurs milliers de parias héréditaires vivaient ainsi au Luxembourg en 1949. Stigmatisés, indésirables dans leur propre pays et, comme le notait Léon Welter, en état de „mort civile“. Dans le système de droit luxembourgeois, d’inspiration française, „tout ce qui touche à la famille: mariage, puissance maritale, paternelle, filiation, tutelle, etc.“ se trouve régi par la loi nationale de la personne engagée. „Or, écrivait Welter, nous venons de voir qu’il n’existe plus de loi nationale pour la personne déchue de sa nationalité, par ordre de la loi, par décision du Juge. Situation réellement tragique, inconcevable même, aux yeux d’un être civilisé.“

Cette situation ne pouvait pas perdurer. La loi du 31 mars 1951 permit finalement aux Luxembourgeois de naissance de recouvrer leur citoyenneté. Elle ouvrait la voie à une amnistie, qui fut votée en janvier 1955. Puisqu’il n’était pas possible de se débarrasser des anciens pro-allemands, il ne restait plus qu’à faire tomber leurs actes passés dans l’oubli – eux-mêmes n’en demandaient pas plus. L’amnésie était le prix à payer pour restaurer l’unité de la nation. A partir de là, le mythe des Luxembourgeois unanimement résistants put s’épanouir.

HORIJ
13. Januar 2019 - 11.53

bravo Vincent .comme toujours bonne recherche ,excellent style et conclusions remarquables petite erreur ( ?) de frappe , les adhérents VDB n'étaient non pas 8000 (un nombre acceptable ) , mais 80.000 ! des 290.000 habitants !