Au bénéfice du doute: Les effets provisoires du traité de libre échange avec le Canada (CETA)

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Entré provisoirement en vigueur en septembre 2017, le CETA fait sentir de premiers timides effets. Dans les têtes, encore plus peut-être que dans les chiffres, son impact se fait déjà ressentir.

De Jérôme Quiqueret

22 mois après son entrée en vigueur provisoire, le CETA a franchi un cap, le 17 juillet, avec son adoption par la France. 14 pays l’ont désormais ratifié. Toutefois, un seul vote négatif de l’assemblée d’un Etat membre … et l’édifice s’écroulerait. Dans un communiqué publié au lendemain du vote français, la plate-forme „Stop TTIP&CETA“ appelle la Chambre des députés à franchir ce pas. Elle concentre ses arguments sur le sulfureux mécanisme de règlement des différends entre entreprises et Etat (ICS), qui pourrait signer la primauté des intérêts des entreprises sur ceux des citoyens.

L’abandon du traité serait facilité par le fait que la mise en œuvre provisoire, qui consiste dans l’abolition des tarifs douaniers, l’unificiation des normes et la simplification administrative, n’a pas encore eu les effets attendus. Même si un chiffre est brandi comme un étendard: l’augmentation en un an de 66% des exportations de pétrole canadien vers l’UE. Dans les fiches publiées en 2017 avant le vote du Parlement européen, étayant les bienfaits du CETA promis à chaque pays, la Commission garantissait au Luxembourg des bénéfices dans la catégorie des machines, avec la fin de tarifs douaniers pouvant atteindre 9%. C’est d’ailleurs dans cette catégorie que la Commission avait trouvé son exemple d’entreprise gagnante: Codipro.

Ventes ont grimpé de 30%

La société installée à Wiltz depuis 2004 n’a rien fait pour obtenir ce titre. C’est auprès de son interlocutrice, la douane luxembourgeoise, que la Commission doit l’avoir trouvé. L’entreprise produit des anneaux de levage, prisés dans l’industrie automobile. Elle réalise les trois quarts de son chiffre d’affaires dans l’UE, mais déniche hors UE ses „points de croissance“ supplémentaires.

Un an et demi plus tard, le directeur de Codipro, Christophe Losange, confirme: „Le CETA nous a permis d’attaquer le marché canadien. Avec l’accord, nos prix sont devenus plus compétitifs.“ La baisse des tarifs douaniers a compensé le surcout du transport qui la défavorisait face à la concurrence américaine. Les ventes ont grimpé de 30%. Bien moins encore qu’avec la Corée du Sud et le Japon, avec lesquels existe déjà un traité. La Commission promettait aussi au Luxembourg la sécurisation juridique du secteur des services (417 millions d’euros vers le Canada en 2014) et des investissements directs au Canada (43 milliards d’euros) sécurisés par l’ICS. L’agriculture n’y était pas mentionnée. C’est pourtant celle qui éveille les plus grandes sources d’inquiétude des consommateurs et du secteur.

Pour l’heure, la menace est encore virtuelle. Les exploitations agricoles canadiennes n’ont fait que peu usage des nouvelles largesses du CETA, à défaut de répondre aux normes européennes. Les exportations de viande bovine ont par exemple plus que doublé entre 2017 et 2018 mais les 1.343 tonnes atteintes sont loin des 65.000 tonnes de viande par an négociées dans le traité. Les chiffres du Statec présentent, pour la même période, une augmentation sensible des échanges dans la catégorie des „animaux et produits issus du règne animal“ au Luxembourg mais à des niveaux modestes: de 0 à 420.000 euros pour les exportations et de 7.000 à 82.000 euros pour les importations.

L’agriculture, une monnaie d’échange

Personne à la Chambre de commerce ni au ministère de l’Agriculture ne veut donner une signification à ces chiffres. Josiane Willems, directrice de la Centrale paysanne, organisation incarnant une agriculture conventionnelle, mesurera l’effet du CETA à l’aune des chiffres européens. Des importations dans les pays voisins ont des conséquences sur les circuits commerciaux et donc sur le marché luxembourgeois.

„Chaque accord de libre-échange risque d’avoir des conséquences néfastes pour l’agriculture“, assure-t-elle. Dans le présent cas, l’agriculture canadienne a bien plus à gagner dans l’accès à un marché de 500 millions de consommateurs que l’Europe qui accède à 37 millions de bouches supplémentaires. Le fait que les installations canadiennes soient beaucoup plus grandes pourrait créer des déséquilibres pour les exploitations. „On ne va donc pas applaudir et crier hourra. Mais la Centrale paysanne ne va pas manifester dans la rue.“

Au sujet de l’accord avec le Mercosur conclu en juin, c’est une autre affaire. Le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay, qui exportent déjà respectivement 140.000, 70.000 et 52.000 tonnes de viande bovine vers l’Europe, pourront exporter 99.000 tonnes à tarif douanier réduit. „Avec le Mercosur on valide un mode de production et une politique, refusés en Europe, allant à l’encontre de toutes les valeurs et principes de l’UE.“ Le 2 août, l’importation sur sept ans de 35.000 tonnes de bœuf de haute qualité, concédé par l’UE aux Etats-Unis dans le cadre du „programme commercial transatlantique positif“, n’arrange rien à l’impression que l’agriculture figure souvent comme une monnaie d’échange. „Il est fâcheux qu’avec le Mercosur ou les Etats- Unis on fasse des concessions sur l’agriculture pour obtenir des avantages au niveau industriel“, déplore Josiane Willems. Les importations contredisent d’autres injonctions politiques. „On nous dit qu’il faut manger moins de viande et en même temps on en importe davantage.“

Ancien diplomate engagé au sein de la plate-forme „Meng Landwirtschaft“, membre de Stop TTIP, Jean Feyder voit d’autres contradictions dans le CETA. „Le CETA fait la promotion de l’agriculture conventionnelle industrielle. Il ne contient aucune disposition disant qu’il faudrait faire la promotion d’une agriculture plus adaptée au changement climatique, à savoir une agriculture biologique. Cela favorise les grandes industries de la viande aux dépens des fermes agricoles et locales. Cela favorise donc la production de viande basée sur l’importation de soja, dont l’exploitation est liée à une très grande déforestation, à la monoculture et aux semences modifiées.“ Alors que l’agriculture industrielle pose déjà des problèmes sanitaires, Feyder doute même que les contrôles de la qualité suffisent pour empêcher le Canada d’exporter des animaux élevés aux hormones de croissance ou antibiotiques et encore les OGM, des pratiques interdites par l’UE.