L’histoire du temps présentLes girouettes et le vent

L’histoire du temps présent / Les girouettes et le vent
L’hôtel de ville d’Esch sous l’occupation nazie Photo: Musée national de la Résistance

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La Deuxième Guerre mondiale n’est pas bloc. Cette période historique est riche en nuances, en zones grises et en rebondissements. Pour la comprendre, mieux vaut l’aborder par phases et garder à l’esprit que ceux qui ont vécu les événements n’en connaissaient pas l’issue. Prenons le cas de la famille X, d’Esch-sur-Alzette. Etaient-ils collabos ou résistants? Selon la période, ils ont été l’un et l’autre.

Ces dernières années, l’historiographie luxembourgeoise a connu de profondes évolutions, en particulier dans le domaine de l’histoire contemporaine. Le milieu s’est professionnalisé, des sujets nouveaux ont été abordés, de vieux totems secoués. Nos connaissances sur les guerres mondiales, la première aussi bien que la deuxième, ont été approfondies grâce à de nombreuses publications.

Faut-il pour autant penser que tout est désormais pour le mieux? Que notre société a atteint un niveau de conscience historique supérieur? Que la capacité à aborder des épisodes sensibles aurait augmenté? Non, car paradoxalement il est plus compliqué aujourd’hui que jamais de faire des recherches sur l’histoire luxembourgeoise.

L’Université ne lui accorde qu’une place congrue et subalterne. Les quelques projets qui y sont menés sont pour la plupart financés et influencés par l’Etat. Le plus préoccupant toutefois est que la législation récente, en particulier le RGPD et la loi relative à l’archivage de juillet 2018, rendent l’accès aux sources extrêmement pénible et compliqué.

Trajectoires personnelles dans une époque mouvementée

Des travaux historiques menés il y a à peine une décennie seraient aujourd’hui impensables. Il faut désormais une dérogation pour pouvoir consulter un dossier susceptible de contenir au moins une donnée personnelle: un nom, un prénom, une date de naissance, une adresse … Mais comme tel est potentiellement le cas de chaque dossier, il est devenu impossible d’accéder aux fonds contemporains sans contrôle préalable de l’autorité archivistique.

Une étude d’ampleur dans des fonds d’archives comme ceux de l’épuration est devenue inenvisageable. C’est dommage, car ces sources révèlent une réalité qui est le plus souvent bien différente du tableau manichéen que d’aucuns redoutent. On n’y trouve pas la confirmation que tous les Luxembourgeois se sont dressés contre l’envahisseur, comme un seul homme. Mais on n’y découvre pas non plus qu’ils auraient tous collaboré sans broncher.

Ces dossiers nous révèlent des trajectoires personnelles chahutées et souvent brisées par un temps mouvementé. Des histoires parfois inclassables, pleines de nuances et de zones grises. Celle de la famille X est un cas d’école. Particulièrement condensée, elle n’en rend pas moins compte de l’évolution d’une bonne partie de la société luxembourgeoise sous occupation nazie.

Une famille modèle du Luxembourg nazi

La famille X vivait à Esch-sur-Alzette. Monsieur X occupait un poste de cadre au sein de l’administration de l’usine Arbed Schifflange. Il était marié à Madame X, avec laquelle il avait un fils qui, au moment de l’invasion allemande, en mai 1940, poursuivait des études secondaires.

Quelques mois plus tard, le 13 juillet 1940, des Luxembourgeois favorables à l’annexion de leur pays par l’Allemagne nazie, fondaient la Volksdeutsche Bewegung. Monsieur X adhéra très vite à ce mouvement. Il fut l’un des fondateurs de sa section dans le quartier d’Al Esch, au sein de laquelle il occupa un poste à responsabilités.

Dans les premiers temps de la période d’occupation, le reste de la famille partageait l’enthousiasme pro-nazi de Monsieur X. Madame X militait au sein de l’organisation féminine du Troisième Reich, la NS-Frauenschaft. Quant au jeune X, il était un membre enthousiaste des Jeunesses hitlériennes. Rêvant de gloire militaire, il passa les concours pour devenir sous-officier dans la Luftwaffe.

Les X constituaient donc une famille modèle du Luxembourg nazi. Jusqu’à ce que les événements d’octobre 1941 ne viennent ébranler leur foi dans l’Ordre nouveau. Le Gauleiter avait organisé un recensement pour tenter d’établir qui au Luxembourg pouvait être considéré comme étant ethniquement allemand. La population était, entre autres, appelée à indiquer sa langue, sa nationalité et sa race.

La résistance appela les Luxembourgeois à boycotter cette opération. Ils furent suffisamment nombreux à suivre cette consigne pour que le Gauleiter soit contraint d’annuler son recensement. Humilié publiquement, il frappa. Les premières rafles eurent lieu. Près de 200 résistants furent arrêtés et envoyés sans autre forme de procès dans des prisons et des camps de concentration en Allemagne.

Parmi les déportés, il y avait le frère de Madame X, qui avait rejoint l’organisation de résistance LFK (Lëtzebuerger Fäiheetskämpfer). Les X en furent bouleversés. Le 22 décembre 1944, Monsieur X écrivit au chef de la section Esch-Alt de la VdB pour lui annoncer qu’à l’avenir, il aurait moins de temps à consacrer aux activités politiques. Six mois plus tard, le frère de son épouse était décapité dans une prison allemande.

La rupture avec le régime nazi

Au début de l’année 1942, Monsieur et Madame X apprirent que la candidature qu’ils avaient déposée pour devenir membres du parti nazi avait été acceptée. Ils étaient donc invités à venir chercher leurs cartes de membres. Ils ne le firent jamais. Monsieur et Madame X préféraient désormais prendre leurs distances par rapport au régime. La rupture intervint, comme pour beaucoup de Luxembourgeois, à l’été 1942, lorsque les Allemands imposèrent le service militaire obligatoire.

Comme nombre de ses compatriotes, Monsieur X renvoya sa carte de membre de la VdB, en signe de protestation. Le jeune X, de son côté, prit part à la grève des lycéens eschois contre l’enrôlement forcé. Lorsque l’ordre de rejoindre la Wehrmacht lui parvint à son tour, il préféra s’enfuir vers la France. En Bourgogne, il rejoignit le maquis. C’est ainsi que le jeune hitlérien X, qui en 1940 rêvait de gloire dans l’aviation du Troisième Reich, vécut la fin de la guerre dans les rangs des Forces françaises de l’intérieur.

En l’absence de leur fils, du début de l’année 1944 à la libération, les X cachèrent un jeune réfractaire chez eux. Après la guerre, Monsieur X prétendit également qu’il avait fourni à la résistance des informations confidentielles sur l’aciérie Arbed Schifflange et qu’il y avait aussi saboté la production, destinée à l’effort de guerre allemand, notamment en dissimulant des stocks de matières premières.

Quelles leçons peut-on tirer d’une telle histoire? Les X furent tout à la fois des collaborateurs et des résistants. Ou alors ils ne furent ni réellement l’un, ni réellement l’autre, si on préfère le voir ainsi. Le moins qu’on puisse dire est que leur attitude évolua à mesure que la situation changeait. Voir en eux de simples opportunistes est un jugement lapidaire, qui ne nous avance nullement si nous cherchons à comprendre leurs motivations.

Les ranger parmi les attentistes n’est pas plus satisfaisant. Cette catégorie n’est en réalité qu’un fourre-tout qui ne rend pas vraiment compte de la situation de cette époque. Dans le contexte du système totalitaire auquel était soumis le Luxembourg occupé, ceux qui se contentaient de subir les événements risquaient d’être emportés. Le pouvoir nazi ne se contentait pas de la docilité des individus, il exigeait d’eux un engagement sans faille. Rester passif, figé, était extrêmement dangereux.

Les X ont accompagné les évènements, cherché à naviguer dans la tempête. Comme beaucoup d’autres, ils ont tout fait pour rester à flot alors que le cap ne cessait de changer. Etaient-ils motivés par un désir d’ascension et de respectabilité sociale? Très vraisemblablement, mais c’est précisément cela qui les rend semblables à la grande majorité de nos contemporains. Au final, le destin des X illustre parfaitement cette sentence d’Edgar Faure: „Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent.“

Flammang
20. Februar 2020 - 20.04

"Les X constituaient donc une famille modèle du Luxembourg nazi." Cela dépend ce que l'on entend par "Luxembourg nazi" (c'est sans doute l'ensemble des familles semblables à X). Mais ces familles-là n'étaient pas des familles modèles du Luxembourg sous l'occupation nazie. De toute façon, toute cette histoire prétendue "histoire nouvelle" n'est en fait qu'un réservoir pour illustrer une "idéologie nouvelle".